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Économie

Un Suisse maître en désinformation

Un citoyen helvétique est dans le collimateur des Américains pour ses activités complotistes prorusses

Le complotiste suisse publie régulièrement dans des médias comme RT, Russia Today, chaîne de télévision d’information internationale désormais sous le coup d’une interdiction de diffusion imposée par l’UE.

 Gilles Labarthe

Gilles Labarthe

18 mars 2022 à 02:01

Désinformation » Venant du Département d’Etat des Etats-Unis, la seule mention ressemble déjà à une distinction: il est rare en effet qu’un citoyen suisse soit explicitement pointé parmi d’autres Occidentaux pour l’importance de son activité complotiste prorusse. C’est pourtant ce que l’on découvre à la lecture d’un rapport du Global Engagement Center (GEC), du Gouvernement américain. Son titre: «Les piliers de l’écosystème de désinformation et de propagande de la Russie».

Cette note de synthèse de 77 pages se concentre sur «l’ensemble des canaux et plateformes de communication officiels, proxys (médias intermédiaires), canaux de communication et plateformes non attribués dont se sert la Russie pour créer des discours mensongers et les amplifier». Elle a été publiée en août 2020 déjà, soit plus d’un an et demi avant le début de l’offensive de l’armée russe en Ukraine, en raison de la recrudescence de propos conspirationnistes dénonçant les Etats-Unis comme étant à l’origine de tous les maux. Parmi les personnalités visées: Peter K.*, économiste senior aujourd’hui à la retraite et résidant dans le canton de Vaud.

Une «bio-guerre»

Les experts du GEC s’intéressent à ce Suisse, qui est l’auteur d’une vaste production d’articles diffusés et reproduits tous azimuts, prenant toujours les Etats-Unis pour cible – et présentant la Russie et les pays non alignés comme victimes de stratégies hégémoniques néolibérales occultes. Il a dénoncé les Etats-Unis comme étant à l’origine du Covid-19, utilisé afin de mener une «bio-guerre contre la Chine», «visant spécifiquement l’ADN Chinois» (sic). Le virus a depuis fait 6 millions de morts dans le monde entier, dont presque un million aux USA, mais qu’importent les faits: la «théorie» est toujours en ligne, inchangée, sur le site de la revue New Eastern Outlook (NEO), revue internationale de l’Institut des études orientales de l’Académie russe des sciences, qui abrite aussi des contributions à caractère ultranationaliste russe et complotiste.

Peter K. s’est ensuite illustré comme porte-parole des antivaccins, dénonçant «les Gates, Rockefeller, Rothschild et autres» souhaitant imposer au monde entier «une campagne de vaccination universelle assortie d’un puçage électronique». Aujourd’hui, passant d’une théorie du complot à l’autre, ses articles présentent la Russie non pas comme pays agresseur, mais comme nation attaquée. Au-delà de la partialité et de la violence de ses affirmations sur l’Ukraine – «les USA et l’Otan y ont perpétré, en février 2014, un coup d’Etat sanglant et installé à Kiev un gouvernement nazi» – ou même des questions de liberté d’expression, les productions de Peter K. offrent un autre intérêt pour les enquêteurs du GEC: elles permettent de cartographier avec précision les liens et l’étendue du réseau de médias, sites internet et revues prétendument scientifiques, tous financés de près ou de loin par Moscou.

L’auteur ne s’en cache pas: dans ses propres notices biographiques, il donne la liste des médias gouvernementaux russes pour lesquels il publie régulièrement, dont RT (Russia Today, chaîne de télévision d’information internationale désormais sous le coup d’une interdiction de diffusion imposée par l’UE), Voice of Russia (rebaptisée Radio Sputnik en 2014, aussi interdite de diffusion en Europe) ou encore Ria Novosti, une des agences de presse russes. Dans une autre catégorie de ses publications figurent une demi-douzaine de «revues» de politique internationale sur internet, diffusant toutes des propos complotistes prorusses, ainsi que les discours officiels de Vladimir Poutine, sans aucune mise en perspective.

Partie visible de l’iceberg

Pour le GEC, ces médias, «revues» internet et blogs ne sont que la partie la plus visible de l’iceberg: leurs contenus sont repris, amplifiés et déformés presque à l’infini sur les réseaux sociaux comme Twitter ou la chaîne Youtube, avec des déclinaisons et traductions approximatives en plusieurs langues, selon le pays visé. Or, un tel volume de publications, d’audience et de followers paraît impossible à atteindre sans l’appui d’une structure dédiée, organisée et boostant la diffusion.

Que faire concrètement face à une telle déferlante? Commencer déjà par sanctionner le «premier niveau» des titres prorusses, c’est-à-dire les médias gouvernementaux du Kremlin? La décision annoncée le 27 février par l’UE d’interdire la diffusion de RT et Sputnik sur sol européen a été très contestée, y compris par les milieux professionnels, dont Reporters sans frontières. Pour Newsguard, ces sanctions risquent encore de stimuler précisément le transfert de la propagande vers d’autres prétendus «médias» ou plateformes de «réinformation», moins identifiés comme étant prorusses. Sur ce terrain-là aussi, la bataille est loin d’être terminée.

* Nom connu de la rédaction

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