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Économie

Pas assez d'incitations à investir en Suisse

Alors que l’UE et les Etats-Unis injectent des milliards dans leur économie, la Suisse fait l’inverse


 Maude Bonvin

Maude Bonvin

1 juin 2023 à 04:01

Temps de lecture : 1 min

Innovation » A l’heure où les Etats-Unis et l’Europe mettent des centaines de milliards sur la table pour soutenir la transition énergétique et la mutation numérique, la Suisse ne dispose pas de politique industrielle. «Ce n’est pas dans notre ADN», déclare Philippe Cordonier, directeur romand de Swissmem, l’organisation faîtière de la tech.

La stratégie économique de la Confédération repose essentiellement sur le tourisme et l’agriculture. Le libre marché prévaut dans les autres secteurs. Le soutien à la recherche et à l’innovation s’effectue principalement de manière indirecte via des partenariats entre les hautes écoles et les industries.

Opportunité d’affaires

«Dans un système libéral, l’innovation est majoritairement financée par les entreprises», précise Philippe Cordonier. A ses yeux, il est important que les firmes conservent la liberté d’investir dans les secteurs qu’elles jugent porteurs, sans politique dirigiste. En outre, le financement direct des entreprises par l’Etat n’est pas forcément synonyme d’innovation, d’après le responsable romand de Swissmem. Il met le doigt sur l’exemple français, où la mise à disposition de fonds publics ne se traduit pas forcément par la création de nouveaux produits. «L’argent du contribuable est alors gaspillé», souligne-t-il. La preuve que le modèle helvétique a fait ses preuves? «La Suisse figure souvent en tête des classements internationaux en matière d’innovation», répond le directeur romand.

Côté subventions étrangères, Philippe Cordonier pointe du positif et du négatif. S’il déplore une forme de distorsion de la concurrence pour les sociétés suisses, il y voit également une opportunité d’affaires pour les industries exportatrices. Et les PME helvétiques peuvent collaborer avec les firmes concernées.

L’Union européenne (UE) et les Etats-Unis attirent aussi les investisseurs extérieurs via leurs aides financières massives. De son côté, la Suisse ne fait plus rêver les sociétés étrangères. L’année passée, ces entreprises y ont annoncé 58 projets d’implantation et de création d’emplois, contre 75 en 2021 et 91 en 2020. C’est la conclusion d’une étude du cabinet d’audit et de conseil EY publiée récemment. Résultat: notre pays se classe en 17e position, derrière la Suède mais devant la Hongrie. France et Grande-Bretagne font la course en tête.

André Bieri, d’EY Suisse, ne se montre toutefois pas inquiet: «Sachant que notre territoire est davantage limité en termes de personnel qualifié et d’espace, ce recul n’a rien d’alarmant.»

En 2021, les investissements étrangers sur sol helvétique se sont avérés supérieurs aux désinvestissements à hauteur d’un milliard de dollars, selon le dernier rapport de la CNUCED, l’organe des Nations Unies sur le commerce et le développement. Ce montant peut néanmoins se révéler trompeur puisqu’il résulte d’un effet unique: le changement de propriétaire de Sunrise, passé en mains anglaises cette année-là. Le stock d’investissement direct étranger atteignait alors 1370 milliards. Ces milliards correspondent à environ 1,5 million de postes de travail et à des revenus de plus de 80 milliards de francs.

Contrôle à la chinoise

Cette source financière pourrait cependant se tarir en raison de la Lex Syngenta, qui fait suite au rachat du groupe bâlois de l’agrochimie par le géant étatique chinois ChemChina en 2017. Cette législation instaure un contrôle des investissements des entreprises étrangères dans le pays. Le Conseil fédéral a jusqu’à la fin de l’année pour proposer un projet de loi. En consultation, ses propositions ont provoqué une levée de boucliers. Affaiblissement de la place économique helvétique, non-respect de conventions internationales et portée trop large du texte ont figuré parmi les principales critiques.

Le gouvernement a donc revu sa copie. L’examen des investissements ne devrait dès lors s’appliquer que lorsqu’un investisseur étranger contrôlé par un Etat entend reprendre une entreprise suisse active dans un domaine particulièrement critique pour la sécurité du pays comme la fabrication de biens d’équipements militaires, l’exploitation des réseaux électriques, la production d’électricité et les infrastructures de santé ou de communication.

Cette loi est donc pensée pour assurer la sécurité publique et éviter l’ingérence de la politique étrangère dans nos entreprises. Or, de l’aveu même du Secrétariat d’Etat à l’économie (seco), il s’avère impossible de quantifier les avantages de ce projet sur la sécurité. Le nombre d’investissements chinois dans les entreprises suisses est passé de neuf en 2021 à trois en 2022, selon EY, pour un volume stable à 96 millions.

 

L’Innovation est en berne

Les découvertes technologiques permettant de se distinguer de la concurrence se font trop rares en Suisse.

Membre de l’Académie suisse des sciences techniques, Eric Fumeaux estime que la Suisse se repose sur ses lauriers. Il regrette tout particulièrement le manque d’innovations disruptives. L’ingénieur cite les recherches du CHUV et de l’EPFL, qui ont permis à un paraplégique de marcher. Reste que ces découvertes ne sont pas légion. «Or sans ces nouveautés à caractère mondial, les sociétés helvétiques ne peuvent pas accéder aux marchés extérieurs. Conséquence: notre pays perd en attractivité», déplore-t-il.

En matière d’innovation, tant l’Est que l’Ouest nous rattrapent en investissant des milliards. «Nous bricolons. Nous nous marginalisons déjà sur les grandes tendances internationales. Nous avons par exemple raté le virage numérique», poursuit le fondateur de la Haute Ecole d’ingénieurs du Valais, aujourd’hui à la tête de Fumeaux Consulting.

Au début des années 2000, plus d’une entreprise sur quatre investissait dans la recherche et le développement. Elles ne sont aujourd’hui plus qu’une sur dix (13,3%). Selon l’Académie suisse des sciences techniques, les PME industrielles ont diminué leurs investissements en la matière de 30%.

Sont particulièrement mal classés les secteurs de l’énergie, de l’environnement, de l’industrie alimentaire et des produits électroniques. D’après Philippe Cordonier de Swissmem, l’érosion des marges des firmes actives dans l’industrie réduit dangereusement leur capacité d’innovation.

La Suisse consacre, chaque année, plus de 22,5 milliards de francs à la recherche et au développement, soit environ 3% de son PIB. L’investissement de la Confédération et des cantons s’élève à 5,8 milliards.

Aux yeux d’Eric Fumeaux, universités et EPF sont les seules à même de pouvoir investir massivement dans le disruptif. Et la Suisse dispose de suffisamment de capacités financières pour le faire. Reste à fixer le cap pour l’horizon 2030-2040, si notre pays ne souhaite pas se faire dépasser. MBO

 

Des entreprises suisses pas mises à l’écart

Selon le fiscaliste Vincent Thalmann, les sociétés helvétiques peuvent tirer profit des subventions massives à l’industrie des Etats-Unis et de l’Europe. 

Pour Vincent Thalmann, l’associé responsable de la fiscalité d’entreprise en Suisse romande auprès de KPMG, la Confédération dispose d’une politique économique essentiellement axée sur le tourisme et l’agriculture. Le libre marché prévaut dans les autres secteurs. Le soutien à la recherche et à l’innovation s’effectue principalement de manière indirecte via des partenariats entre les hautes écoles et les industries. A cela s’ajoutent certaines incitations fiscales en matière de R&D portant sur la patent box et la super déduction.

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