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Économie

Les économies en repli

Pour des raisons de sécurité nationale, les Etats limitent les échanges et protègent leurs ressources Les économies en repli


Thierry Jacolet

Thierry Jacolet

4 février 2023 à 02:01

Protectionnisme » L’Union européenne a été forcée de se faire violence. L'un des plus des grands espaces de libre-échange de la planète a cédé au mouvement de protectionnisme généralisé. Elle a présenté mercredi dernier son plan de bataille pour défendre la transition verte des industriels européens face aux «barbelés» commerciaux mis en place par les Etats-Unis le long de leurs frontières. Bruxelles entre dans la course au réarmement économique qui s’est accélérée à travers le monde ces dernières années en ces temps de crises.

1. Pourquoi ce retour au protectionnisme?

Les huîtres se referment à la moindre agression. Pareil pour les Etats, qui ont eu pour réflexe de se replier sur eux-mêmes dès la déflagration financière de 2008 provoquée par la crise des subprimes à la suite de la défaillance du système financier américain. L’Etat est venu à la rescousse de l’économie partout dans le monde. «Depuis, la part des échanges internationaux dans le PIB stagne et il est possible qu’un cycle de déglobalisation se soit enclenché», constate Aurélien Eyquem, professeur associé d’économie à l’Université de Lausanne (UNIL).

Les crises se sont enchaînées, radicalisant cette tendance et entraînant les Etats dans une spirale interventionniste: Brexit en 2016, élection de l’isolationniste Donald Trump en 2017, guerre commerciale sino-américaine en 2018, crise du Covid en 2020 et guerre en Ukraine en 2022 doublée d’une crise énergétique. Sans parler de la lutte poussive contre le réchauffement de la planète.

«Les Etats ont été amenés à renforcer la protection des marchés qui n’étaient plus assez efficients par eux-mêmes», éclaire Ali Laïdi. Le cofondateur de l’Ecole de la pensée sur la guerre économique, à Paris, observe le recours à un protectionnisme inédit, de type sécuritaire et global. «La question de la sécurité nationale a conduit au réengagement des Etats dans l’économie mondiale afin de protéger les technologies et les ressources stratégiques notamment. C’est une réponse aux rivalités géopolitiques», appuie l’auteur d’Histoire mondiale du protectionnisme (Ed. Passés Composés).

2. Comment se replient les économies?

Ce mouvement protectionniste s’est imposé via une prise de conscience née de la pandémie et consolidée par le conflit en Ukraine: les pays sont trop dépendants de partenaires non fiables dans les domaines stratégiques tels que les technologies vertes, l’alimentation, l’armement ou encore la santé. Compte tenu de la fragilité des chaînes d’approvisionnement ainsi que du manque d’autonomie et de souveraineté dans certains domaines, les gouvernements ont été amenés à réévaluer leur dépendance à l’étranger.

Cette évolution de fond s’exprime sous de nouvelles formes. Les armes sont d’un autre calibre que les instruments classiques du type droits de douane et quotas. Pour protéger des secteurs clé de l’économie de la concurrence, les Etats recourent aux subventions généreuses, aux allègements fiscaux, aux interdictions d’exportations… Les Etats-Unis ont ainsi sorti les grands moyens en été dernier pour subventionner le made in America dans le secteur des technologies vertes et des semi-conducteurs (lire ci-dessous). De nombreux pays se sont mis à encourager la production sur leur sol, via notamment le rapatriement des activités de manufacture et d’assemblage, ou la relocalisation dans des pays «amis» façon friend-shoring. Corollaire: les produits maison sont plus chers.

Des Etats ont tout simplement interdit les exportations alimentaires, comme l’Inde avec le blé ou la Malaisie avec le poulet. Il y a aussi le recours aux mécanismes d’ajustement tels que la taxe carbone aux frontières de l’UE. Instaurée en décembre dernier, elle fixe un prix carbone aux importations de certains produits, favorisant ainsi la production indigène.

3. La mondialisation a atteint ses limites?

«Ce n’est pas la fin de la mondialisation, mais plutôt le fait d’atteindre les limites d’une certaine mondialisation», souligne Ali Laïdi. «La réalité nous impose de changer de braquet.» Les crises récentes ont en tout cas mis fin à quatre décennies de mondialisation heureuse. Entre l’accroissement des inégalités et l’appauvrissement d’une partie de la population mondiale, cette globalisation a eu un coût social important. «Il aurait fallu redistribuer les gains du commerce et mieux accompagner les reconversions des territoires désindustrialisés, en créant de nouveaux emplois et en développant de nouveaux secteurs», estime Aurélien Eyquem.

4. Quels sont les risques de ce repli?

«Un immense gâchis.» Charles Wyplosz, professeur honoraire à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), à Genève, résume en trois mots le retour au protectionnisme. «Cela va ralentir la croissance mondiale, car les produits fabriqués non plus en Chine ou en Inde mais sur le sol national vont coûter plus cher. Ce sera le cas des médicaments pour les pays qui veulent retrouver une autonomie.» Sous l’effet des mesures protectionnistes du moment, la hausse des prix va continuer de faire trinquer les ménages à faibles revenus.

Si le commerce est gagnant-gagnant, il en va autrement avec le repli des économies. «Individuellement, un pays peut gagner à être protectionniste, mais lorsque les autres pays ripostent, alors le protectionnisme devient perdant-perdant», avance Aurélien Eyquem. En outre, ce resserrement économique n’étant pas conjoncturel, il risque de s’inscrire dans la durée.

«Nous allons vers une bimondialisation avec les pays du camp occidental qui commercent entre eux et les pays du camp sino-russe qui font pareil et, entre deux, des pays non alignés mis sous pression», redoute Ali Laïdi. Des pays comme les Etats-Unis vont en profiter, mais pas ceux d’Afrique, par exemple. D’où le risque que germent de nouvelles instabilités dans les régions émergentes ou en développement.

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