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Économie

La récession guette

Population vieillissante, facture énergétique, inflation… L’Allemagne tousse économiquement


 Thomas Schnee, Berlin

Thomas Schnee, Berlin

15 juillet 2023 à 04:01

Conjoncture » L’Allemagne est-elle en passe de regagner le titre «d’homme malade de l’Europe», comme ce fut le cas à la fin des années 90? Le modèle industriel de la première économie européenne est en effet ébranlé par la crise énergétique, l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, qui provoquent une baisse de la demande. Par ailleurs, le contexte géopolitique tendu et instable ralentit une économie allemande très mondialisée.

Alors que la plupart des voisins européens ont enregistré une légère reprise début 2023, la première économie d’Europe est ainsi sortie de l’hiver légèrement grippée en alignant une baisse de croissance sur deux trimestres consécutifs (4e trimestre 2022 à –0,5% et 1er trimestre 2023 à –0,3%). Soit une récession technique dont personne ne sait si elle va durer, ni combien de temps.

Pour l’instant, les instituts économiques restent d’humeur maussade car la consommation des ménages est toujours en berne (–1,2% au 1er trimestre). L’accélération de l’inflation à 6,4% en juin laisse même les experts craindre une seconde vague inflationniste en Allemagne en juillet. «Avec une augmentation de 13,7% par rapport à l’année précédente, les produits alimentaires restent le moteur le plus puissant de la hausse des prix», précise Ruth Brand, présidente de l’Office fédéral de la statistique (Destatis).

Des signaux d’alarme

Pour l’instant, les entreprises allemandes tournent encore sur la lancée des carnets de commandes qui se sont regonflés après la pandémie. Selon une enquête de la Banque centrale allemande, les bénéfices ont ainsi été au rendez-vous l’année dernière pour les groupes cotés en Bourse avec des bénéfices opérationnels d’un montant total de 2400 milliards d’euros. Mais les signaux d’alarme se multiplient.

En Europe, le constructeur Volkswagen (VW) a ainsi construit 97 000 unités de ses modèles électriques entre janvier et mai. Mais il n’en a vendu que 73 000. La guerre des prix lancée par Tesla au printemps, l’inflation, le coût élevé de l’électrique ou le développement trop lent des réseaux de recharge freinent les acheteurs et n’augurent rien de bon pour le passage à la mobilité électrique de VW.

L’important secteur de la chimie se bat pour la reconduction en 2024 des subventions gouvernementales destinées à alléger la facture énergétique des entreprises les plus voraces en gaz et en électricité. L’usine mère de BASF à Ludwigshafen, qui va supprimer 2600 emplois, a certes réduit sa consommation de gaz de 35% entre 2021 et l’année dernière, mais elle affiche tout de même 1,4 milliard d’euros de surcoûts sur le gaz naturel pour 2022.

Le ralentissement de la conjoncture nationale et internationale aidant, l’industrie chimique (sans la pharmacie) a dû faire face à une baisse de production de près de 20% au premier trimestre par rapport à la même période en 2022. A la Fédération de l’industrie chimique (VCI), on évoque désormais l’option des délocalisations et/ou de la désindustrialisation.

Quitter l’Allemagne n’est en revanche pas une option pour les entrepreneurs du secteur bâtiments et travaux publics, autre domaine dans la tourmente. Après plusieurs années fructueuses, la construction de logements et de maisons individuelles est fortement freinée par la remontée des taux d’intérêt. «Les projets de construction et d’achat sont nettement moins nombreux. Je ne place plus que les meilleures offres à une clientèle aisée. Quant au locatif, la situation est sous tension puisque l’Allemagne manque déjà de 700 000 logements. Les prix des loyers remontent d’autant», explique l’agente immobilière Annette Kindervater, active sur la région Berlin-Brandebourg.

Des espoirs envolés

«Il est regrettable que les perspectives économiques un peu plus positives qui s’étaient dessinées au printemps se soient à nouveau évanouies», expliquait fin juin le professeur Sebastian Dullien, directeur scientifique de l’Institut d’études macroéconomiques (IMK). L’IMK prévoyait alors un recul de 0,5% pour le PIB, de 1,6% pour la consommation des ménages et de 2,3% pour les salaires en 2023. Le tout suivi d’un retour à la croissance en 2024, à 1,2%.

Pénurie de main-d’œuvre

«Mais l’espoir de raffermissement de la conjoncture que nous avions en juin, entre autres basé sur une bonne tenue des commandes industrielles en mai, ne semble pas se confirmer. A la mi-juillet, notre indice conjoncturel qui mesure le risque de récession à trois mois est passé de 49,3% de probabilité à près de 80%. Notamment au vu de la remontée des taux de la Banque centrale européenne, du reflux des plans d’aides publiques contre la cherté de l’énergie, de l’inflation encore haute et de la faiblesse des exportations», souligne l’économiste Thomas Théobald (IMK) qui considère la croissance 2023 comme «pliée».

Ingo Weber, directeur général de l’entreprise berlinoise Elpro, attire enfin l’attention sur un dernier problème ô combien dangereux pour l’économie allemande. Celui du manque de personnel. Les trois cents salariés d’Elpro produisent des stations électriques pour les parcs solaires et éoliens, des panneaux de contrôle pour la production d’hydrogène ou encore des armoires électriques pour les chemins de fer. «Ce sont des secteurs avec des perspectives de croissance énormes. Je devrais être parfaitement heureux. Mais la pénurie de main-d’œuvre nous oblige à refuser bien des projets. Aujourd’hui, nous pourrions embaucher 70 personnes tout de suite. Mais nous ne trouvons pas», regrette-t-il.

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