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Scènes

Au Théâtre des Osses, Philippe Sireuil met en scène Figaro Divorce d’Ödön von Horvath

Le metteur en scène belge est le directeur du Théâtre des Martyrs, à Bruxelles. Il a répondu à l’invitation d’Anne Schwaller pour le deuxième volet de la trilogie consacrée au personnage de Figaro. Interview en amont de la première, qui a lieu jeudi soir, avant huit autres représentations jusqu’au 21 décembre.

Au centre, Frank Arnaudon interprète Figaro dans la pièce Figaro Divorce, à voir dès ce jeudi au Théâtre des Osses. © Dimitri Känel

Elisabeth Haas

Elisabeth Haas

29 novembre 2023 à 15:30

Temps de lecture : 1 min

Théâtre » Quand le dramaturge Ödön von Horvath, de langue allemande, écrit Figaro divorce en 1937, les Nazis sont au pouvoir depuis quatre ans, lui-même a été décrété artiste dégénéré et doit fuir Berlin pour Vienne d’abord, puis Paris. C’est dans ces sombres heures qu’il revient aux classiques, en particulier au personnage de Figaro.

Figaro divorce est le deuxième épisode (sur trois) que le Théâtre des Osses consacre au barbier né sous la plume de Beaumarchais. Anne Schwaller avait mis en scène brillamment le premier épisode en ouverture de son mandat de directrice. Le metteur en scène belge Philippe Sireuil, directeur du Théâtre des Martyrs, à Bruxelles, monte cette deuxième pièce, dans une nouvelle traduction. La première a lieu à Givisiez ce soir.

Qu’est-ce qui vous a poussé vers ce Figaro-là?

Philippe Sireuil: Quand Anne Schwaller m’a écrit en mai 2022, elle envisageait de travailler autour de la trilogie de Beaumarchais. Je reste tétanisé par une mise en scène somptueuse du Mariage de Figaro faite par Jean-Pierre Vincent, qui m’avait bouleversé. Et j’ai eu par deux fois l’occasion de monter la version opératique, Le Nozze di Figaro de Mozart. Dans nos discussions, nous avons donc pensé à nous rapprocher de ce personnage mythique, avec un texte qui vient compléter l’œuvre de Beaumarchais. Figaro Divorce fait partie de la période où Ödön von Horvath est en exil et retourne vers Figaro et Don Juan (Don Juan revient de guerre, ndlr).

Quand il s’est agi de définir un modus operandi, Anne Schwaller souhaitait que les deux projets, Le Barbier de Séville et Figaro Divorce, puissent être partagés par un seul espace scénique et une seule distribution. J’ai proposé le scénographe, Vincent Lemaire, un décorateur belge avec qui j’ai monté bon nombre de spectacles au théâtre et à l’opéra. J’ai fait les lumières du Barbier de Séville. Le défi d’un travail de troupe et sur un terme relativement long me plaisait.

Pourquoi von Horvath s’intéresse-t-il à Figaro en 1937?

Je peux imaginer que dans la noirceur du temps qu’il traverse, dans les ténèbres comme il les appelle, s’emparer du quatuor du Mariage de Figaro est une façon d’allumer une lampe, retourner au siècle des lumières, à une époque où philosophiquement on espérait le développement de l’humanité et une ouverture sur le monde. Il reprend ces quatre figures importantes, il les projette dans un temps qui n’est plus le leur, qui est le temps de la souffrance pour une partie de la planète. C’est sans doute une façon de se raccrocher à un désir d’humanisme.

Figaro a donc épousé Suzanne, tous deux sont au service du comte Almaviva et de la comtesse Rosine. Fuyant la Révolution, ils sont forcés à l’exil, mais von Horvath ne situe pas l’intrigue de manière précise. Comment articulez-vous ces trois temporalités dans votre mise en scène, le XVIIIe siècle, 1937 et le temps de la représentation en 2023?

Représenter le monde ne va jamais de soi. Plus on avance, plus on se pose de questions sur la validité de notre travail, l’utilité de notre engagement. Je regarde le texte d’un point de vue qui est le mien, quelles peuvent être les correspondances entre le moment de l’écriture et de sa relecture. Mettre en scène, c’est réécrire. Comme von Horvath fait traverser au quatuor un temps qui n’est plus celui de la Révolution française, mais qui part tout de même de la Révolution française, nous tentons de construire un spectacle qui part d’une esthétique dix-huitiémiste pour en arriver à une esthétique du temps actuel, en faisant se frotter les époques, les costumes, les musiques. Je crois beaucoup à la friction, à cette idée de frottement, sans quoi le feu ne serait jamais né.

Le théâtre est une façon d’écouter et de regarder. J’ai toujours regardé une œuvre sans donner l’illusion qu’il fallait la replonger dans le temps de l’écriture. On en arrive au XXIe siècle notamment dans la manière dont le personnage de Suzanne se développe.

Précisément, elle trompe Figaro. C’est un personnage moderne…

Pour moi la pièce devrait s’appeler Suzanne divorce, c’est elle qui est motrice. Dans un premier temps elle subit, puis réagit et dans un troisième temps elle quitte. La modernité du rôle est évidente, mais comme toujours chez von Horvath il y a une façon de construire les personnages, les situations, qui laisse la place à la double interprétation, à l’ambiguïté, au silence sur les motivations.

Le trajet de Suzanne est celui d’une libération, celui de Figaro d’un reniement. Figaro s’accommode du réel à des fins nauséabondes, c’est du moins le regard que je porte. Dans le travail avec Frank Arnaudon, nous cherchons à présenter un Figaro Janus, à deux visages: sa gouaille impertinente, il la retourne à son avantage pour devenir une figure arriviste. J’aurais souhaité que le titre allemand Figaro lässt sich scheiden soit traduit par «Figaro se sépare», car Figaro se sépare lui-même, mais la pièce en français est connue sous le nom de Figaro divorce.

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