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Musique

Tempo, paroles et politique

Le rap français est bien plus engagé qu’il n’en a l’air. La chercheuse Paroma Ghose en parle

Le rap français était plutôt underground, avant de se faire connaître dans les années 90 avec notamment IAM (ici à l’Estivale en 2009).

Gilles Labarthe

Gilles Labarthe

30 juillet 2020 à 15:46

Temps de lecture : 1 min

Musique » Tandis que l’attention des médias francophones se focalise beaucoup sur le côté violent, bling-bling et machiste du gangsta rap, imitant des hits américains, ou les succès commerciaux et d’audience de l’électro-rap, bien d’autres malentendus font écran à une compréhension plus approfondie du rap français. Pourtant, ce dernier transmet d’importants messages politiques aux jeunes générations. Chercheuse de l’Institut des hautes études internationales à Genève, Paroma Ghose a écouté des milliers de ces chansons. Elle les a aussi entendues… et étudiées pour sa thèse de doctorat, soutenue cet été, sous le titre «Silence… On est en France»: Une histoire du rap et des «Autres» en France, 1981-2012. Interview.

Quel est votre parcours personnel?

Paroma Ghose: Je suis Indienne d’origine, avec un passeport britannique, et naturalisée Suisse. J’ai atterri à Genève un peu par hasard, à cause du travail de mon père. J’écoute du rap anglophone depuis l’âge de 11 ans. Quand j’étais adolescente, un ami en écoutait aussi à l’école, mais du rap français: il m’a envoyé un morceau, et j’ai trouvé que dans ces paroles, quelque chose me correspondait davantage, comme les thèmes liés à l’immigration, au rapport à l’Etat…

Qu’est-ce qui vous a poussée à faire cette recherche?

Pour moi en particulier, il y a ce sentiment d’être «en dehors de la norme»: je voudrais bien appartenir à un pays, à une nation, je voudrais participer, mais en même temps, sans réussir vraiment à être partie prenante. Le rap français parle de tout cela. Au Département d’histoire (du Graduate Institute, ndlr), mon directeur de thèse m’a encouragée à faire une recherche à ce sujet.

Vous avez même rédigé votre introduction en rimes, prêtes à être déclamées… Comment résumer la question de recherche à laquelle vous avez tentée de répondre?

Je suis partie d’une question qui se trouve dans une chanson originale du groupe Ärsenik: «Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position?» Si le rap s’est affirmé dès la fin des années 1970 aux Etats-Unis, dans le Bronx, il est arrivé très vite en France. C’est aujourd’hui le deuxième pays au monde pour la production de ce genre musical. Comment l’expliquer? Il y a bien sûr toute la tradition française de la chanson à rimes… Mais au début, le rap français était plutôt underground, avant de se faire mieux connaître dans les années 1990 avec des noms comme IAM, NTM, MC Solaar, Assassin… Une des particularités du rap français, c’est d’être au croisement entre la volonté de participation à la République, une situation en périphérie – parce que habitant dans les banlieues, ou étant issu de l’immigration –, et une tendance à la révolte lyrique.

Comment avez-vous procédé?

J’ai construit une base de données, avec les productions allant de 1981 à 2012, année de la «fin de règne» de Sarkozy. Environ 700 rappeurs ont sorti un album sur cette période. J’en ai retenu 493 après en avoir écarté certains, moins représentatifs. J’ai aussi mené des entretiens en France, et lors de festivals de musique, en Suisse…

Et quels sont les principaux résultats de votre travail?

Dans la majorité des textes que j’ai analysés, il y a bien un message politique: cela concerne plus de 85% des productions de rappeurs. En fait, contrairement aux nombreux préjugés qu’on entend sur le rap, il est moins question de chansons violentes, qui incitent à la haine, ou même à «faire la révolution», que de dénoncer des injustices (voir ci-dessous), de volonté de réformer le fonctionnement politique, de demander un changement de République, avec la mise en actes de la devise «Liberté, égalité, fraternité», pour tous. C’est vraiment une constante. Ce qui change au fil des années, ce sont plus les voix et les manières d’adresser le message, en l’adaptant aux plus jeunes ou aux préoccupations du moment, comme le mouvement Black lives matter ou même, la pandémie. Et puis, il y a ce décalage entre la production de ce message politique et sa réception, qui est souvent plus axée sur l’émotion, le divertissement… sans plus faire de connexion avec le côté «activisme». Le rap a une voix, et des personnes qui l’écoutent, mais pas forcément qui l’entendent.

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