Disparition. Michel Moret, itinéraire d’un postier devenu homme de lettres

«Autrement, ici ça va bien. Le fleuve de L’Aire avance imperturbablement. Parfois, il y a des petits remous, c’est le propre de la vie. Mais l’espoir demeure. Je suis heureux parce que je viens de découvrir un très bon manuscrit.» Signé: «Michel Moret, qui lit La Liberté depuis 70 ans». Mais que désormais il ne lira plus, le nautonier du livre ayant rejoint l’autre rive peu après nous avoir adressé ce message qui sera le dernier.

C’est une page qui se tourne, un chapitre presque dans le monde de l’édition romande. Car avec la mort de Michel Moret vendredi passé à l’âge de 79 ans, c’est une certaine vision artisanale de la littérature qui semble également disparaître. Reflets d’un univers régi par d’incontournables figures, fait d’entêtements et de passions, de clivages et d’emportements, de parti pris et de courage. Où éditer était un combat quotidien pour donner verbe à «l’âme d’un pays».

Où un fils de paysan né à Estavayer-le-Lac, neuvième d’une famille de onze enfants, devenu postier avant de se faire homme de lettres, pouvait se vouer à la littérature jusqu’à diriger une maison dont le fonds, une incommensurable somme de quelque 1700 titres, est assurément l’un des plus riches de notre paysage littéraire.

Audace de découvreur

Créées en 1978 dans une période de recomposition de l’édition romande, après le déclin de la Guilde du Livre et de la coopérative Rencontre dont elles reprennent le catalogue, les Editions de l'Aire trouveront rapidement leur espace dans un nouveau paysage où émergent L’Age d’Homme (1966), Bertil Galland (1972) puis Zoé (1975).

Etabli dans son officine de la rue de l’Union, à Vevey, Michel Moret a su s’accompagner pour tracer d’emblée une voie littéraire très large, où les redécouvertes patrimoniales, Monique Saint-Hélier notamment, voisinaient les plumes déjà reconnues, d’Alice Rivaz à Jacques Mercanton.

Pour se faire une idée des vastes curiosités de l’insatiable Michel Moret, remonter le fil de L’Aire bleue, sa collection de poche inaugurée par Corinna Bille dans les années 1990: sous la sobre couverture bleue créée par Frédéric Pajak et retravaillée ce printemps, classiques, modernes et contemporains dessinaient une Helvétie littéraire idéale, de Ramuz à Corinne Desarzens en passant par de nombreux auteurs tessinois, romanches ou alémaniques.

Mais c’est surtout son audace de découvreur qui, au fil des années, a conféré aux Editions de l'Aire leur importance sur la scène culturelle romande. Réservée aux nouveaux venus, la collection «Le Coup de Dés» sera ainsi l’occasion pour des autrices aussi importantes que Pascale Kramer, Yvette Z’Graggen ou Marie-Claire Dewarrat d’entrer en littérature, avant que Blaise Hofmann ou Julien Burri ne fassent également leurs premières armes dans cette maison aux portes grandes ouvertes.