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Colomb, Pile et face

Renaissance d’une «voix inouïe». L’œuvre exigeante de la romancière vaudoise, longtemps tenue pour marginale, est publiée en intégralité

Portrait de Catherine Colomb pris dans les années 1960.

 Thierry Raboud

Thierry Raboud

23 novembre 2019 à 02:01

Littérature » Une romancière réservée, une œuvre insaisissable. Ainsi le nom de Catherine Colomb est-il longtemps resté méconnu, celé dans les marges du milieu littéraire de son temps. Sa prose? Elle offre «le spectacle d’une confusion qui rejoint l’obscurcisme», tançait en son temps un critique désorienté. «Catherine Colomb? Elle est vraiment impossible à comprendre», en rajoutait la Lausannoise elle-même, amusée de cet hermétisme que l’on prêtait volontiers à ses romans déroutants.

Alors réapprendre à lire, comme le suggérait Gustave Roud en introduction à cette prose exigeante. On s’y plonge dans le fort volume que les Editions Zoé viennent de faire paraître. Oui, porter un regard neuf sur ces textes écrits entre 1911 et 1965 par cette grande romancière de la mémoire aujourd’hui remise en lumière, au point que sa place dans les lettres contemporaines, de marginale, soit peu à peu devenue centrale. «En un demi-siècle, l’auteure discrète est devenue une balise de la littérature produite en Suisse romande, jusqu’à y être considérée comme un véritable classique, traduit en plusieurs langues», note Daniel Maggetti, qui a dirigé l’édition de Tout Catherine Colomb.

Absolument inclassable

Au cœur de ces quelque 1600 pages soigneusement annotées, dont certaines inédites: Châteaux en enfance (1945), Les Esprits de la terre (1953) et Le Temps des anges (1962). Trois romans familiaux enracinés en terre vaudoise, qui portent l’empreinte nostalgique d’un autrefois. Dans le recueil d’essais qu’il a fait paraître ce printemps, Philippe Geinoz décrit cette trilogie en un «tout articulé»; ensemble romanesque cohérent, ancré dans un même paysage de lac et de vignes, baigné d’une même inquiétude née du «passage difficile d’une société verticale à une société horizontale». Au fil de sa lecture critique apparaissent surtout les audaces formelles et narratives de cette prose que le chercheur, chargé de cours à l’Université de Fribourg, restitue à sa modernité. «Parce qu’ils ont été trop peu commentés, les romans de Colomb conservent, plus d’un demi-siècle après leur publication, quelque chose de la nouveauté qu’ils présentaient à leurs premiers lecteurs», signale-t-il.

Des lecteurs rebutés, découragés ou alors fascinés par cette «voix inouïe» que ne cessera de défendre Roud: modulée par le flux des souvenirs, digressive jusqu’à perturber la linéarité du temps, portée par un style métaphorique et foisonnant – absolument inclassable. Le premier de ces trois romans suscitera l’admiration d’un Jean Paulhan, qui proposera à Gallimard de le rééditer, mais sans succès. «Je crois que j’ai trouvé une romancière de génie», s’enthousiasmera même le directeur de La Nouvelle Revue française dans une lettre à Claude Gallimard, espérant aussi le convaincre d’éditer les Esprits de la terre. C’est finalement Le Temps des anges qui paraîtra dans la prestigieuse collection Blanche, ouvrage qui vaudra à son auteure une froide réception en France mais le Prix Rambert en Suisse, ainsi qu’une tardive reconnaissance pour la profonde singularité de cette écriture que l’on a parfois considérée en devancière du nouveau roman.

Confitures et lectures

Côté pile, voilà pour le noyau de sa production littéraire, amalgame polyphonique de mémoire et de fiction, de lyrisme et d’ironie que Philippe Jaccottet tient pour la plus belle œuvre romanesque en Suisse depuis Ramuz. Mais l’on se plaît aussi à explorer le revers de l’œuvre, son côté face, dans les textes inédits, la correspondance, les photographies, ainsi que dans un volume de la collection Savoir Suisse qu’Anne-Lise Delacrétaz consacre à l’écrivaine. On y suit la lente accession à l’écriture de Marie Colomb, orpheline de mère à 5 ans, élevée par sa grand-mère au cœur des vignes de Begnins, sur la Côte. Puis le contexte de rédaction de sa thèse universitaire (jamais défendue) consacrée à Béat de Muralt, et des premiers romans, Pile ou Face et Des noix sur un bâton, avec lesquels elle participe à divers concours littéraires sous pseudonyme. Enfin, à l’autre bout de l’œuvre: ce roman visionnaire mais inachevé, Les Malfilâtre, dont le manuscrit en chantier est ici publié pour la première fois.

Un chantier littéraire d’une profonde originalité, mené dans une forme de clandestinité par cette digne maîtresse de maison bourgeoise se disant volontiers «heureuse avec mon fils, mes confitures et mes lectures». Animée pourtant d’une nécessité d’écrire qui finira, une fois son temps déplié, par imposer cette femme effacée en romancière de premier plan.

Catherine Colomb, Tout Catherine Colomb, dir. Daniel Maggetti, Ed. Zoé, 1680 pp.

Anne-Lise Delacrétaz, Catherine Colomb. En plein et lointain avenir, Ed. Presses polytechniques et universitaires romandes, coll. Le Savoir Suisse, 168 pp.

Philippe Geinoz, Un temps désancré, Ed. Métis Presses, 176 pp.

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