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Le mot de la fin

Desproges ne passerait plus, dit-on


Angélique Eggenschwiler

Angélique Eggenschwiler

23 décembre 2023 à 17:29

Le mot de la fin » Il y avait le point Godwin, stade à partir duquel votre interlocuteur en réfère inévitablement à Hitler ou au nazisme pour disqualifier votre argumentation; il y a désormais le point Desproges. Desproges qu’on cite sur tous les plateaux, qu’on brandit, regrette et profane sur chaque forum en rappelant qu’aujourd’hui, l’humoriste «ne passerait plus».

Parce qu’on peut rire de tout n’est-ce pas, mais pas avec n’importe qui. Citation retweetée à l’envi, à la truelle pour dénoncer la susceptibilité de l’époque et ses minorités islamo-bobo-gaucho-féministes devant lesquelles «on ne peut plus rien dire». Car n’importe qui n’est pas vraiment n’importe qui, c’est même un peu tout le temps les mêmes.

Et j’ai beau chercher l’irrévérence chez Pierre Desproges, l’apologie de la race ou du patriarcat, le politiquement incorrect qui consternerait les foules, impossible de déterminer ce qui, chez l’humoriste, ne passerait plus. Humoriste plutôt de droite certes, vieil anar au ton bourgeois, pas toujours tendre avec les femmes, rarement avec les hommes et jamais avec les cons; qui reste néanmoins un enfant de chœur à côté de Blanche Gardin.

Oui mais le sketch sur les Juifs. Pas évident aujourd’hui, disait l’humoriste, de distinguer un enfant juif d’un enfant antisémite. Facile à l’évidence, trente ans plus tard, de confondre une diatribe contre les antisémites avec un «sketch sur les Juifs». Que les amnésiques de la Shoah convoquent à chaque sarcasme, émoustillés par ce qu’ils interprètent comme une ode au IIIe Reich. Plus qu’une prise d’otage, c’est un assassinat.

Terrible chute

La crucifixion de l’une des plus fines gueules de l’humour français sur l’autel de la récupération, pataugeant aujourd’hui dans le crachoir de tous les nostalgiques des années sida qui semblent regretter cette époque bénie où on pouvait rire de tout et de tout le monde, même si tout le monde était souvent n’importe qui.

Triste sort pour un homme qui a moqué toute sa vie les masses grégaires et les lieux communs, postillonné désormais à longueur de journée au PMU du coin. Sacrée descente, et je ne parle pas de celle des piliers de bar qui trinquent en son nom entre deux blagues sur les blondes ou le cul des Arabes.

Il a perdu de nombreux admirateurs dans sa chute, séduits jadis par sa prose subtile et son cynisme déclamatoire, qui serrent désormais les dents en le voyant tirer un tabouret pour s’asseoir au milieu de la conversation. Ou dessus. Sale quart d’heure en vue. Sale quart d’heure durant lequel votre interlocuteur fera le procès du wokisme et des minorités en rappelant que ce sont des choses qu’on ne peut plus dire, bien qu’il soit quand même un peu en train de les dire.

Probablement que Desproges ne passerait plus aujourd’hui, ou alors en coup de vent. Inutile de s’attarder dans une époque où ses satires et leur lecture divergent à ce point. Et dix verges, c’est énorme.

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