«Avant Lothar, ce concept était flou»
Il y a vingt ou trente ans, les forêts protectrices n’avaient pas la crédibilité dont elles jouissent aujourd’hui
Partager
13 août 2019 à 00:28
«Lothar», 20 ans plus tard (5/6) » Tout l’été, La Liberté arpente les forêts du canton, vingt ans après la «tempête du siècle».
Ouvrages de protection naturels, peu chers à entretenir et ne se dégradant pas avec le temps, les forêts protectrices assurent une protection efficace à l’homme et ses constructions (routes, habitations, etc.). Contre les avalanches, les chutes de pierres, les glissements de terrain ou les torrents, elles jouent un rôle primordial. Leur taille actuelle dans le canton: environ 17’000 hectares, soit 40% de la surface des forêts fribourgeoises.
Il n’en a pourtant pas été toujours ainsi. Peu crédibilisé à l’époque, le concept de forêt protectrice a profité de plusieurs événements naturels majeurs pour évoluer dans les mentalités. C’est du moins ce qu’affirme Willy Eyer, chef du secteur dangers naturels du Service des forêts et de la nature du canton de Fribourg.
Aujourd’hui établi, le concept même de forêt protectrice n’était pourtant pas reconnu il y a vingt ou trente ans. Pourquoi?
Willy Eyer: Au début des années 1990, il suffisait de la présence d’une forêt en forte pente pour la qualifier de forêt protectrice et de bénéficier d’éventuelles aides financières. C’était assez flou et le «monde» forestier (propriétaires, service forestier, exploitants, etc.) était plutôt isolé en matière de reconnaissance de l’importance des fonctions protectrices des arbres.
Lothar a-t-il permis de changer les mentalités?
Entre les années 1980 et 1990, la Confédération a introduit la possibilité d’un soutien financier pour des mesures sylvicoles après l’acceptation d’un postulat aux Chambres fédérales. Jusque-là, les aides étaient limitées aux infrastructures forestières et aux ouvrages de protection contre les dangers naturels. Puis, pour la première fois, une définition claire a été donnée aux forêts protectrices à travers l’introduction de la loi sur les forêts en 1991.
« En trente ans, nous sommes passés d’un concept plutôt obscur à un concept reconnu »
Willy Eyer
A l’instar de la catastrophe de Falli Hölli (en 1994), Lothar a vraiment donné un coup d’accélérateur au niveau fédéral. Cet événement a posé la question politique de manière abrupte, car les aides, limitées, devaient être priorisées en urgence pour faire face à la catastrophe. L’Office fédéral de l’environnement a par la suite lancé le projet Silvaprotect, destiné à harmoniser les pratiques entre cantons. Les forêts protectrices font dès lors partie intégrante de la gestion globale des dangers naturels.
Ce fut donc le début de la prise de conscience de l’importance des forêts protectrices?
En trente ans, nous sommes passés d’un concept plutôt obscur à un concept reconnu, transparent, documenté et cohérent pour toute la Suisse.
En amont, il y a eu aussi la mise en place des standards de durabilité (on parle de NaiS, pour Nachhaltigkeit und Erfolgskontrolle im Schutzwald) établis au niveau national. NaiS, c’est la référence professionnelle principale, la «bible» des forestiers engagés dans ce domaine. Elle décrit la structure et les profils idéaux d’une forêt protectrice, selon les dangers naturels contre lesquels elle protège.
17’000 hectares: La superficie des forêts protectrices dans le canton, soit 40% des forêts fribourgeoises
Plus récemment, nous avons développé un monitoring afin d’encore mieux exploiter toutes les données et informations dont nous disposons. Tout cela est retranscrit sur des fiches signalétiques et des cartes.
Les forêts protectrices ont donc acquis leurs lettres de noblesse…
Aujourd’hui, les forêts protectrices sont comprises, appréciées et recherchées. Il y a par exemple les entreprises de transports ferroviaires (CFF et d’autres) ou l’Office fédéral des routes (OFROU) qui sollicitent les cantons pour intégrer leurs intérêts dans la gestion des forêts protectrices. Ces acteurs sont même prêts à documenter cet intérêt par un engagement financier pour bénéficier de forêts qui protègent leurs infrastructures. C’est vraiment réjouissant.
Pour en revenir à Lothar, quels ont été les dégâts de la tempête sur les forêts protectrices?
C’est difficile à dire justement parce que les forêts protectrices n’étaient pas très bien identifiées. Et Lothar a frappé un peu partout.
Est-ce qu’il y a eu par la suite des dégâts naturels dus au fait que les forêts protectrices ont été endommagées?
Nous n’avons pas constaté une augmentation remarquable d’événements, ce qui n’est pas surprenant. Les éventuelles conséquences d’une perte de fonctions des forêts protectrices se manifesteraient de manière plutôt lente et graduelle. Les surfaces les plus touchées se situaient dans des forêts considérées «à protection indirecte», assez éloignées des principaux risques naturels.
En 2000, La Liberté expliquait qu’il fallait 30 ans pour reconstruire les forêts protectrices détruites par Lothar. Où en sommes-nous aujourd’hui?
Certaines surfaces ont mis beaucoup de temps à se rajeunir naturellement. Notamment celles avec une exposition vers le nord, en altitude (par exemple la grande surface en dessous du Cousimbert, bien visible). Cette phase de rajeunissement est aussi une chance pour orienter les peuplements. Actuellement, environ 4000 hectares, soit presque un quart de la surface des forêts protectrices, sont dans cette phase de développement dite «jeune».
Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus