Livre: La Coupe du monde 1954 racontée par un Broyard de 32 ans

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Entre les buts contre son camp à répétition, les tirs victorieux depuis l’extérieur de la surface et la pluie de goals dans le temps additionnel, l’Euro 2024 écrit match après match sa propre histoire. Prolifique jusqu’à mardi soir et les deux tristes 0-0 du groupe C, le tournoi allemand n’arrive toutefois pas à la cheville de la Coupe du monde 1954 en Suisse, qu’un Broyard de 32 ans a explorée de fond en comble.

De cette «édition record» qui avait marqué toute une génération à travers le pays, Dominique Prudent en a fait son travail de master, puis un livre. Dans un ouvrage qu’il a édité et publié lui-même (lire ci-dessous), le Payernois plonge le lecteur dans les arcanes du cinquième Mondial de la FIFA à grand renfort d’archives. L’occasion de toucher du doigt les prémices de l’industrialisation du football ou de (re)vivre le «miracle de Berne», à une époque où les primes de victoires se comptaient en cartouches de cigarettes.

Le 7-1-2 de Karl Rappan

Mais plus encore que cette fameuse finale qui avait vu l’Allemagne de l’Ouest renverser «l’imbattable» Hongrie de Puskas – de 0-2 de 3-2 – au Wankdorf devant 65 000 personnes sur fond de nationalisme (l’hymne nazi aurait été entonné dans les gradins), de suspicion de dopage (utilisation de pervitine, un produit administré aux troupes allemandes lors de la Seconde Guerre mondiale) et d’avantage matériel (la Mannschaft avait bénéficié de crampons interchangeables, une révolution amenée par Adidas), c’est le quart de finale entre le pays organisateur et l’Autriche que Dominique Prudent revisionnerait volontiers dans son intégralité, bien assis dans les tribunes archibondées de la Pontaise, dont le ticket le plus cher coûtait 15 francs.

Il y a 70 ans jour pour jour, un match au scénario insensé

Un match au scénario insensé que la Nati laissait filer sur le score de 7-5, il y a 70 ans jour pour jour à Lausanne. «La Suisse menait 3-0 après 19 minutes. Un quart d’heure plus tard, c’était 5-3 pour l’Autriche. Encore aujourd’hui, il s’agit du match le plus prolifique de l’histoire de la Coupe du monde», relève l’écrivain en herbe, dont les recherches permettent de mieux comprendre la genèse de cette improbable remontada, que les experts de l’époque mirent sur le dos de deux internationaux ayant subitement perdu leurs moyens: le gardien Parlier et le capitaine Bocquet. «Alors que Parlier a probablement souffert d’une insolation, certains expliquent les errements du défenseur central lausannois par l’effet d’une tumeur bénigne au cerveau», peut-on lire dans le bouquin, entre diverses anecdotes d’un autre temps.

Quoi qu’il en soit, les Autrichiens parvinrent à forcer le «verrou» en 7-1-2 de Karl Rappan, dispositif que le sélectionneur helvétique n’avait pas hésité à modifier pour déstabiliser l’Italie, battue 4-1 pour accéder en quart de finale (un bon présage en vue du huitième de samedi?) Non, la Suisse n’a pas attendu la prise de pouvoir de Murat Yakin pour surprendre son monde tactiquement…

La TV: oui mais…

Pas besoin d’aller très loin dans les 224 pages de La Suisse et sa Coupe du monde de football - 1954: une édition record pour le comprendre: l’événement organisé à Berne, Bâle, Zurich, Lausanne, Genève et Lugano entre 16 nations dont la Corée du Sud, rentrée chez elle après quatre jours et deux valises (9-0 et 7-0), a fait date. «Et ce à plus d’un titre», complète le prof de sport à Estavayer-le-Lac, qui dédie tout un chapitre à la couverture médiatique inédite de l’événement. En proposant de retransmettre en direct dans huit pays – peut-être même plus – les matches de la compétition, ce qui n’avait jamais été réalisé auparavant, le comité d’organisation ne s’était pas fait que des copains.

A la FIFA et au sein de ses fédérations, on redoutait que la petite lucarne retienne la clientèle à la maison. «Il avait été décidé de ne diffuser le match que si tous les billets avaient été vendus, mais cela ne s’est pas fait. Et dire qu’aujourd’hui, les recettes tirées de la commercialisation des droits TV rapportent des milliards!»

Cinquième des six chapitres qui rappellent les différentes étapes d’un match à élimination directe, les «prolongations» s’éloignent de la Coupe du monde 1954 pour thématiser l’essor du football féminin en Suisse. Un pas de côté annonciateur d’un deuxième volet, à un an de l’Euro féminin dans le pays? Dominique Prudent, féru de sport et d’histoire, est tenté, mais ne promet rien. Prudent, il l’est.

> Dominique Prudent, La Suisse et sa Coupe du monde de football - 1954: une édition record, 224 pages, 19.90 francs. En librairie à Page 2016 (Payerne), Albert le Grand (Fribourg) ou Payot (divers magasins en Suisse romande) ou en vente directe via livre@dominiqueprudent.ch

Pied cassé, main à la pâte

Le projet dormait dans un tiroir depuis 2018 et la fin de ses études. «Grégory Quin, l’historien du sport qui m’avait encadré durant tout mon travail de master à l’Université de Lausanne, m’avait soufflé l’idée d’en faire un livre. Elle est restée dans un coin de ma tête, sans pour autant que je passe à l’acte.» Jusqu’au printemps 2023 et ce coup du sort. Footballeur amateur au FC Corcelles-près-Payerne, Dominique Prudent se casse le pied. En arrêt de travail pour plusieurs semaines, le prof de sport dépoussière son mémoire traitant de la Coupe du monde 1954 et contacte quelques maisons d’édition. Les réponses négatives ne découragent pas le Broyard, qui se met en tête de publier son bouquin en autodidacte.

De la taille des marges à la confection de la couverture en passant par l’obtention (payante) d’un numéro ISBN auprès de la Confédération, les découvertes ont été nombreuses. «J’ai suivi plusieurs tutoriels sur internet. On n’imagine pas que cela représente autant de travail. Maintenant, lorsque je lis un livre, je suis plus attentif à tous ces détails», sourit l’habitant de Châtillon, près d’Estavayer-le-Lac, que personne n’avait vu venir. «Mes potes ont découvert mon projet dans la presse. Quand j’en ai parlé à ma copine, elle a cru que c’était une blague.»

Pour rentrer dans ses frais, Dominique Prudent devait écouler 50 exemplaires par lui-même – la vente en librairie rapporte moins. Bonne nouvelle, les 100 premiers se sont envolés en moins d’une semaine. «J’en ai recommandé 80», se réjouit l’auteur, pas au bout de ses surprises. «L’autre jour, un monsieur m’a passé commande en m’expliquant que sa maman était allée voir un match de la Coupe du monde 1954 enceinte de lui. Certaines personnes me racontent leur vie par mail. C’est sympa, ça crée du lien.»