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Broye: Sous tutelle, Gletterens perd son autonomie

En crise depuis plusieurs mois, la commune est mise sous administration spéciale pour une durée indéterminée. Elle sera gérée par trois administrateurs.

Nicolas Kilchoer, préfet de la Broye (à g.) et Didier Castella, directeur des Institutions, de l’agriculture et des forêts, ont présenté les mesures prises pour la commune de Gletterens. © Charly Rappo
Nicolas Kilchoer, préfet de la Broye (à g.) et Didier Castella, directeur des Institutions, de l’agriculture et des forêts, ont présenté les mesures prises pour la commune de Gletterens. © Charly Rappo

Chantal Rouleau

Publié le 26.06.2024

Temps de lecture estimé : 7 minutes

C’est fini la démocratie à Gletterens. Le Conseil d’Etat fribourgeois, sur proposition du préfet de la Broye, met la commune sous administration exceptionnelle – ou sous tutelle – dès le 1er juillet. «C’est l’ultime mesure. Nous avons constaté un blocage institutionnel mettant en péril la bonne administration de la commune», a souligné Nicolas Kilchoer, préfet de la Broye fribourgeoise, lors d’un point presse mercredi matin.

Selon Didier Castella, directeur des Institutions, de l’agriculture et des forêts, il s’agit de la première fois dans l’histoire du canton de Fribourg que deux communes sont sous tutelle en même temps (voir ci-après). «C’est une mesure lourde. Nous remettons en question l’autonomie d’une commune. Nous en sommes arrivés là car sa bonne gestion ne semblait plus assurée», précise le conseiller d’Etat.

Pour rappel, la situation est tendue entre les autorités communales et une partie des citoyens depuis plusieurs mois. A la fin 2022, une hausse du taux d’imposition de 58,9% à 68,9% a été refusée, de même que le budget 2023. Refusés encore à deux reprises, ceux-ci ont été validés par le canton. «C’était la première fois que le canton fixait le taux d’impôt d’une commune», commente Didier Castella.

Fin 2023, rebelote, le budget 2024 est aussi recalé. Une enquête préliminaire est menée, puis un mentorat est mis en place et finalement une enquête administrative totale est faite pour mettre à jour d’éventuels dysfonctionnements. Malgré ces mesures, une nouvelle mouture du budget 2024 ne passe pas la rampe au début mai. «Nous avons tenté le maximum pour conserver l’autonomie communale, mais nous avons constaté que la bonne marche de la commune est menacée. Nous n’avions plus d’autre choix que d’intervenir», remarque le préfet.

Trois administrateurs

Une commission administrative de trois personnes a ainsi été nommée et prend à la fois les pouvoirs de l’assemblée et du Conseil communal. L’exécutif actuel est ainsi totalement démis de ses fonctions et les citoyens n’ont plus leur mot à dire. Willy Schorderet, ancien préfet de la Glâne et qui a accompagné l’exécutif en tant que mentor depuis février, est nommé président de la commission.

«Je regrette de ne pas avoir pu faire accepter le budget et de ne pas pouvoir continuer avec le Conseil communal actuel», réagit Willy Schorderet. Selon ce dernier, les conseillers communaux en place ont continué de gérer leur dicastère de manière professionnelle jusqu’à la fin malgré la situation.

L’ancien préfet de la Glâne sera entouré de Christophe Chardonnens, député au Grand Conseil et ancien préfet de la Broye, et de Christophe Burri, administrateur communal de Montagny démissionnaire. «Nous avons opté pour la continuité avec Monsieur Schorderet puisqu’il connaît déjà bien le dossier, puis pour Monsieur Chardonnens car il est au fait des enjeux régionaux. Monsieur Burri connaît quant à lui le système comptable MCH2 et donnera un appui technique», explique Nicolas Kilchoer en ajoutant: «Nous sommes convaincus qu’ils rétabliront un climat de confiance.»

«Nous allons tout faire pour que les choses se règlent et que la sérénité s’installe»
Willy Schorderet

La durée de la mesure exceptionnelle est indéterminée. «Elle durera le temps nécessaire, jusqu’à ce que l’on estime que la commune peut fonctionner de manière autonome. Tant que les conditions ne seront pas remplies, nous continuerons», insiste Nicolas Kilchoer. Pour Willy Schorderet, la première échéance est le printemps 2026 et la fin de la législature actuelle. «Nous allons tout faire pour que les choses se règlent et que la sérénité s’installe. Moins longtemps cela dure, mieux c’est», estime-t-il. Une fois la mesure levée, des élections seront organisées pour nommer un nouvel exécutif.

En attendant, l’équipe d’administrateurs a du pain sur la planche. «C’est un défi de taille. Il s’agit d’une commune de plus de 1000 habitants avec des spécificités comme la plage ou encore le port», consent Willy Schorderet. Il rappelle que le poste d’administrateur n’est pas un poste à temps plein et que le trio sera là pour soutenir les employés communaux en place. Chacun des administrateurs reçoit pour son travail des indemnités à hauteur de 100 francs de l’heure, montant fixé par le canton et payé par la commune.

Budget bien fait

Une des premières tâches sera l’élaboration du budget 2024. «Le budget préparé par le Conseil communal servira de base. Il a été bien fait et nous ne repartons pas de zéro», assure Willy Schorderet. Pourrait-il y avoir une autre hausse d’impôt? «Nous devrons analyser la situation financière. Rien n’est exclu d’un côté comme de l’autre», répond-il, ajoutant que des séances d’information seront organisées pour tenir la population au courant des affaires communales.

Alexandre Borgognon, membre du groupe de citoyens Transparence Gletterens, souhaite que la mise sous tutelle puisse rétablir la confiance dans le village broyard, mais semble sceptique. «C’est peut-être la solution, l’avenir nous le dira. Ils auront du boulot!» s’exclame-t-il, néanmoins content que la bonne marche de la commune soit mise entre les mains de professionnels. Il ajoute: «J’espère que les problèmes de l’administration se règlent. Je leur souhaite bien du courage.»

Le syndic Nicolas Savoy, de son côté, prend acte de la situation. «Je suis un peu déçu que cela finisse de cette façon. Il y a une perte de démocratie drastique», commente-t-il, aucunement surpris de la décision du préfet. «Nous avons osé briser un tabou et demander une hausse d’impôt. Quand vous voulez tuer votre chien, vous n’avez qu’à dire qu’il a la rage», illustre-t-il. Syndic depuis 14 ans, il aurait souhaité terminer la législature. «Avec mes collègues de l’exécutif, nous avions décidé de tenir le coup et nous l’avons fait. Démissionner aurait été beaucoup trop facile», estime-t-il.

L’enquête administrative n’a démontré aucun dysfonctionnement grave

Avant de mettre la commune sous tutelle, le préfet de la Broye fribourgeoise Nicolas Kilchoer a ouvert une enquête administrative. Menée par le lieutenant de préfet Joël Bourqui, celle-ci n’a pas mis au jour de graves dysfonctionnements.

«L’institution d’une administration exceptionnelle n’est pas une sanction envers l’une ou l’autre personne. C’est l’institution qui ne fonctionne plus», explique Nicolas Kilchoer. Selon le rapport de la fiduciaire mandatée par le préfet, «l’impact financier des manquements constatés n’est pas significatif et ne modifie pas fondamentalement l’image globale des finances de la commune». Une dizaine de milliers de francs seraient en cause.

Le groupe Transparence Gletterens, formé de citoyens de la commune, parle de son côté plutôt de centaines de milliers de francs. «Selon nous, il y a eu de nombreuses erreurs, des fautes graves», indique Alexandre Borgognon, au nom du groupe. Selon ce dernier, les tensions entre la commune et une partie des citoyens ne sont pas «une histoire de rancœurs». «L’administration ne fonctionne pas. Des centaines de milliers de francs ont été perdues», s’insurge le Broyard, qui ne comprend pas pourquoi aucun citoyen n’a été interrogé dans le cadre de l’enquête administrative.

Le préfet indique qu’il n’était pas possible de convoquer l’ensemble de l’assemblée. «Comment choisir une personne plutôt qu’une autre? Il n’y en a pas un qui a plus de droits qu’un autre. Cela aurait été différent dans le cas d’un Conseil général», précise Nicolas Kilchoer.

Ecublens est aussi sous tutelle jusqu’à la fin de l’année

C’est la première fois qu’il y a en même temps dans le canton de Fribourg deux communes sous tutelle. Gletterens vient rejoindre la glânoise Ecublens, placée sous administration exceptionnelle depuis décembre 2022. Face à des tensions au sein de la commune depuis plusieurs années, le Conseil communal avait démissionné en bloc. Cette mesure doit se terminer à la fin de cette année avec la fusion d’Ecublens avec Auboranges, Chapelle et Rue. Une spécificité du cas de Gletterens est que l’exécutif est resté en place.

«C’est probablement une première», confirme Didier Castella, directeur fribourgeois des Institutions, de l’agriculture et des forêts. Il ajoute: «Il y a néanmoins un parallèle à faire avec Ecublens où il y avait également un blocage institutionnel et des tensions qui duraient depuis des années.» Même si la mise sous tutelle d’une commune est très rare, ce genre de situation a tendance à devenir plus fréquent. «La pression sur les autorités locales est de plus en plus lourde», constate le conseiller d’Etat.

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