Des militants qui se jouent des lois
En novembre 2018, des activistes du climat avaient joué au tennis devant les guichets de Credit Suisse à Lausanne. Le procès s’est ouvert ce mardi. La désobéissance civile sur le terrain politique est au cœur du débat
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Christiane Imsand
7 janvier 2020 à 23:01
Justice » Peut-on s’affranchir de la loi pour dénoncer une législation injuste ou attirer l’attention sur une juste cause? Telle est la problématique soulevée par les jeunes activistes du climat dont le procès s’est ouvert ce mardi à Renens. La question met la justice dans l’embarras. Elle interroge aussi les chercheurs.
Spécialiste en militantisme écologiste et directrice de recherche au CNRS français, Sylvie Ollitrault s’est rendue ce mardi en Suisse dans l’idée de témoigner au procès, mais elle fait partie de ces experts que le juge a refusé d’entendre. Interrogée par notre journal, elle estime que l’action des militants respecte tout à fait la grammaire de la désobéissance civile. «Ils ont mené une action non-violente sans chercher à échapper à la justice, ce qui revient à reconnaître les institutions. Ils assument les actes qui leur sont reprochés et répondent à visage découvert. C’est aussi une déclaration citoyenne.»
Les héros d’hier
La désobéissance civile ne date pas d’aujourd’hui. Elle a ses héros, à commencer par le philosophe américain David Henry Thoreau, qui a inventé le concept au XIXe siècle. Il avait refusé de payer l’impôt pour protester contre l’esclavage et la guerre de conquête américaine au Mexique. Par la suite, Gandhi a fait de la désobéissance civile le grand axe de sa lutte non-violente contre l’apartheid en Afrique du Sud et contre la politique coloniale en Inde. Il faut aussi citer Rosa Parks aux Etats-Unis. Cette Afro-Américaine avait eu le courage en 1955 de se dresser contre la ségrégation raciale en Alabama en refusant de céder sa place dans l’autobus à un passager blanc.
Dans le domaine climatique et environnemental, la désobéissance civile est d’inspiration plus récente, mais les activistes actuels n’ont rien inventé. En 1975, les antinucléaires suisses ont occupé pendant onze semaines le site sur lequel aurait dû s’ériger la centrale de Kaiseraugst, aux portes de Bâle. En 1988, le projet a fini par être officiellement abandonné.
Ancien recteur du Collège Saint-Michel, à Fribourg, Jacques de Coulon s’intéresse depuis longtemps à cette problématique. Il l’avait d’ailleurs intégrée dans son enseignement de philosophie politique et lui avait consacré un petit ouvrage il y a une dizaine d’années. A défaut d’être légale, la brève occupation des locaux de Credit Suisse peut selon lui être considérée comme légitime. «La sauvegarde de la vie sur terre est une juste cause. Les activistes ont exprimé leur sentiment d’urgence d’une manière un peu dérisoire et humoristique en jouant au tennis dans la banque, mais ils ont réussi à exercer un rôle de lanceur d’alerte. J’estime d’ailleurs que le droit suisse devrait intégrer le principe de responsabilité qui sous-tend leur action.»
« Le réchauffement du climat est une réalité, mais il ne faut pas entrer dans une hystérie de fin du monde! »
Yves Nidegger
Pour le conseiller national Yves Nidegger (udc, GE), par ailleurs avocat, il est impossible de justifier leur action. «Le réchauffement du climat est une réalité, mais il ne faut pas entrer dans une hystérie de fin du monde! Dans le cas qui nous occupe, je ne vois pas de lien entre l’action exercée et la loi. Ce qu’ont fait ces militants, ce n’est pas de la désobéissance civile, mais du vandalisme. Quand quelqu’un se dit au-dessus des lois, il faut se méfier. Il s’agit en général d’un dictateur.»
Egalement avocate, la conseillère aux Etats verte Céline Vara (NE) fait preuve de davantage de compréhension tout en refusant de prôner la désobéissance civile. «Je pense qu’il est possible en Suisse de changer les choses dans le cadre du système. C’est la voie que j’ai choisi de prendre et le résultat des élections montre qu’elle est praticable. Mais le rythme de la politique est lent, je peux comprendre la révolte et l’angoisse qui montent face à l’urgence climatique. J’ai de la sympathie pour les actions qui cherchent à alerter l’opinion publique pour autant qu’elles n’impliquent ni violence, ni dégradation. Si le monde politique ne bouge pas très vite, il est à craindre que ces actions deviennent de plus en plus radicales au fil du temps.»
Ecolos exaspérés
C’est aussi l’avis de Sylvie Ollitrault. «On assiste à une sorte d’exaspération au sein du mouvement écologiste, surtout après la COP 25 (la dernière Conférence des Nations Unies sur le climat, qui n’a débouché sur aucun résultat, ndlr).»
En Suisse, les traditionnelles organisations de défense de l’environnement comme le WWF et Pro Natura ont été prises de court par le style des nouveaux activistes du climat. «Nous ne cherchons pas la confrontation directe, explique la porte-parole du WWF, Pierrette Rey. Nous avons privilégié jusqu’ici la communication, la sensibilisation, le partenariat avec certaines entreprises, voire le recours au référendum.» Par contre, Greenpeace Suisse privilégie depuis longtemps les opérations spectaculaires comme le déploiement d’un dragon géant en plastique devant le siège de Nestlé, en avril dernier. Il se livre occasionnellement à des actions de désobéissance civile comme le blocage de stations-service.
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