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Les pions s’avancent, le fou est perdu


11 janvier 2021 à 02:01

C’est ringard!

Les adeptes de la première heure désespèrent de la vulgarisation des échecs entraînée par The Queen’s Gambit.

Je couve depuis l’enfance une sympathie coupable pour les échecs. Elle me valut moqueries et opprobre lorsque, âgé de 7 ans, rechignant à me mêler à mes cuistres camarades, adeptes de jeux aussi futiles que le mouchoir ou «1, 2, 3 petit poisson rouge», je déroulai un plateau dans la cour pour me pencher, solitaire et fier, dans la résolution d’un problème.

Mon besoin de sociabilité m’apprit au fil des années à dissimuler cette passion comme un vice secret. C’était aussi ma force: mes 2800 points ELO me portaient intact de revers de la vie en mésaventures sans que ma confiance dans mes capacités n’en souffre.

Quelle ne fut pas ma joie lorsque, après un souper, je découvris à mes dépens quel coriace adversaire était mon voisin du dessous – un original, lui: helléniste pratiquant ignorant ce qu’est TikTok. Qu’importe, j’avais trouvé un compagnon de misère. Nous eûmes tôt fait de nous retrouver une fois par semaine pour confronter nos intellects, cultivant notre pédante différence du commun des mortels à coups de grands roques et de discussions sur le déclin de l’Empire romain.

J’étais heureux. Ma solitude avait pris fin. Jusqu’à The Queen’s Gambit.

Alors que je débarquais à l’improviste pour une partie, je surpris sur son canapé mon voisin du dessous avec son voisin du dessous, qui avait vu la nouvelle série Netflix et qui voulait découvrir les règles. Rapidement, tout mon entourage se mit à parler d’échecs, à discuter ouvertures, à me proposer des parties. Après quelques victoires faciles et sans saveur, je me mis à refuser poliment: «Non, je ne joue pas aux échecs, vous devez faire erreur», désespéré de voir le jeu sur lequel j’avais assis mon sentiment d’unicité se propager plus vulgairement qu’un tee-shirt marqué d’une citation d’Alain Berset.

Aussi, à l’aube de 2021, jetant aux flammes le jeu d’échecs qui m’avait accompagné depuis la cour de récré, je pris une fatale résolution: c’est l’heure de se mettre au go. Louis Rossier

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