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Expulsés en pleine pandémie

Le collectif Poya Solidaire dénonce la rigidité de la politique d’immigration helvétique. Témoignages


 Kaziwa Raim

Kaziwa Raim

28 décembre 2020 à 02:01

Asile » «La politique d’immigration helvétique est l’une des plus dures d’Europe», affirme Guy Zurkinden, membre de Poya Solidaire, un groupe de requérants d’asile déboutés vivant pour une partie au Foyer de la Poya sous le régime de l’aide d’urgence, et de personnes qui leur sont solidaires. «Les conditions de vie des requérants d’asile se sont encore dégradées depuis la pandémie», explique-t-il. Depuis mars 2020, le collectif dénonce la situation du foyer de la Poya, «où les requérants vivent dans une promiscuité et une précarité extrême, les rendant vulnérables à l’épidémie». Guy Zurkinden raconte: «Quand un cas positif au coronavirus y a été déterminé, les autorités ont enfermé tout le monde à l’intérieur pendant dix jours sans proposer d’aide logistique et sanitaire sérieuse.»

Parmi les requérants d’asile de Fribourg, il y a Azad*, 24 ans, arrivé en Suisse en 2015. Ayant dû quitter la région kurde de Rojhelat pour des raisons sécuritaires et politiques, il poursuit des études de droit à l’Université de Fribourg. «Je suis actuellement en procédure pour une reconsidération de mon permis de séjour», déclare-t-il. Débouté par le Service de la population et des migrants (SPoMi) qui juge que le retour d’Azad dans son pays d’origine ne constitue pas un danger suffisamment grave pour sa vie, son renvoi est prononcé en plein confinement. «A ma demande de réexamen, on m’a signifié que dans l’intervalle je n’avais plus droit à ma formation universitaire, confie Azad. Ça m’a beaucoup découragé, je me suis senti profondément impuissant face à cette situation.» Détenteur d’un permis N, le jeune homme fait actuellement recours et attend la décision finale pour 2021.

Un monde s’écroule

Eli*, 28 ans, étudiant à la Haute Ecole d’ingénierie et d’architecture de Fribourg depuis janvier 2019, se retrouve lui aussi dans une situation difficile. «Tout allait bien jusqu’à la fin de mon master», raconte le jeune Libanais qui a terminé ses études trois jours avant le confinement. Détenteur d’un permis L, il a alors six mois pour trouver du travail. «En pleine pandémie, c’est quasiment impossible, déplore Eli. Le plus souvent, mes candidatures étaient refusées pour des raisons économiques.» Le jeune homme décide alors de contacter le SPoMi pour demander une extension de son permis de séjour, une requête qui lui est refusée malgré les circonstances. Quelques semaines plus tard, il reçoit une lettre de renvoi: «On m’a annoncé que j’avais deux semaines pour quitter le pays, se souvient Eli. J’ai eu l’impression que le monde s’écroulait autour de moi. J’avais tellement investi et tout est parti en fumée en un instant.» Le jeune homme retourne alors au Liban, dépité: «La lettre ne mentionnait même pas de droit au recours. A vrai dire, j’ignore dans quelle mesure cette décision était légale, mais je n’ai malheureusement pas les moyens de me défendre juridiquement», confie-t-il.

Guy Zurkinden met en cause un système helvétique particulièrement rigide: «En Suisse, les expulsions perdurent sans prendre en compte les répercussions du confinement, alors que plusieurs pays ont adapté leur système d’asile à la situation extraordinaire de pandémie», assure-t-il, prenant pour exemple le Portugal qui, en mars dernier, a régularisé temporairement toutes les personnes qui en avaient fait la demande avant l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, pour les protéger du Covid-19 en leur facilitant l’accès aux soins médicaux, au travail et aux aides financières.

Prescriptions fédérales

Cheffe de section au SPoMi, Laurence Richard s’en explique: «Les demandes d’asile sont examinées à l’aune des faits de persécutions qui ont amené à fuir le pays d’origine, expose-t-elle. Cet examen et le statut de séjour à la suite de celui-ci relèvent de la législation fédérale qui, à notre connaissance, n’a pas été modifiée sur ces points.»

Concernant le permis L, Laurence Richard explique que des ressortissants étrangers provenant d’Etats hors UE peuvent effectivement être admis à des séjours pour études. Après l’obtention de leur diplôme universitaire ou d’une haute école, ceux-ci peuvent solliciter l’octroi d’un permis L à la recherche d’une activité lucrative qui doit revêtir un intérêt scientifique ou économique prépondérant. «La durée de validité de cette autorisation est fixée par le droit fédéral. Elle est de six mois à compter de la date à laquelle les études reconnues ont été achevées par un diplôme, note la cheffe de section. Selon les prescriptions fédérales explicites, cette autorisation de courte durée ne peut être prolongée.» Autrement dit, continue Laurence Richard, «même si la période de recherche d’un emploi coïncide avec une conjoncture économique défavorable, quelle qu’en soit la cause, l’autorisation n’est pas prolongeable».

Face à ce constat, Guy Zurkinden considère que la Suisse doit impérativement assouplir ses lois pour apporter un changement nécessaire: «Il est temps que la Suisse rompe avec une politique basée sur l’exclusion, l’expulsion et la discrimination pour développer une véritable politique d’hospitalité», insiste-t-il.

* Prénoms d’emprunt

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