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Les lettres à nos aînés

Derrière nos écrans, tout est réel


2 avril 2020 à 04:01

Lettre à nos aînés » Va-t-on manquer de tendresse? C’est la première question que je me suis posée quand j’ai commencé à comprendre ce qu’il se passe. Mais je n’ai pas tout de suite compris. C’est venu à la suisse, en toute discrétion, sans déranger. D’abord un mail de mon employeur qui conseille d’arrêter de se faire la bise. Un mètre de distance sociale. Puis un mètre cinquante. Ensuite deux mètres. Et enfin, rester chez soi. L’équation semblait implacable: plus le virus gagnait du terrain, plus les centimètres se creusaient entre nous.

Alors oui, j’ai eu peur de manquer de tendresse. Ne plus voir mes parents, ne plus les serrer dans mes bras (les serrais-je suffisamment, avant?), ne plus faire la bise à mes collègues, ne plus pincer les joues de mes sublimes neveux, ne plus danser avec mon meilleur ami, ne plus partager la même bouteille de bière, ne plus attraper son bras quand je m’enflamme, ne plus taper sa cuisse quand je ris trop fort.

Mais on comble les absences et les vides comme on peut. On remplit de nouveaux agendas, à coups de Skype, WhatsApp, FaceTime. Je télétravaille, je me télédouche et je téléapérote. Je n’ai jamais été si loin des autres mais je ne les ai jamais autant aimés. Nous rions de nos nouvelles solitudes, de nos nouvelles habitudes, et je commence à m’y faire, à ces rendez-vous virtuels, car derrière nos écrans, tout est réel. Tellement réel.

Et peu à peu, la tendresse se déplace, jaillissant du printemps. La nature se fout du coronavirus et ne maintient aucune distance à coups de solutions hydroalcooliques. Tout s’entremêle; les branches, les fleurs, les herbes, les odeurs, tout se touche, tout se frôle, c’est presque obscène quand on y pense. Et lorsque je lève la tête vers le ciel de ma ville, sans la moindre trace d’avions, bon sang, le bleu de mon ciel, je vous jure, c’est pas le même bleu! Et quand tout s’éteint, la nuit, le silence, les étoiles.

Il y a donc d’autres tendresses, c’est ce que je commence à comprendre. Je comprends lentement, je vous l’avais dit. Je vous embrasse et vivement la fin qu’on se serre fort.

Christine Gonzalez Animatrice-chroniqueuse à RTSet France Inter, Lausanne


» Cette opération de solidarité est lancée de concert avec d’autres quotidiens régionaux de Suisse romande: Le Quotidien Jurassien dans le Jura, Arcinfo à Neuchâtel, Le Journal du Jura (Berne francophone) et Le Nouvelliste, en Valais. La Côte, basée à Nyon, et le magazine Générations se sont également joints au mouvement.

Mais la solidarité ne se confine évidemment pas aux seules rédactions. C’est pourquoi nous vous lançons un appel, à vous, chers lecteurs: écrivez vous aussi votre lettre à nos aînés et faites-nous la parvenir par courriel à l’adresse suivante: redaction@laliberte.ch. Nous publierons les plus belles dans nos prochaines éditions.

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