Logo

Les lettres à nos aînés

Comme d’habitude, ma chère maman!


8 avril 2020 à 04:01

Lettre à nos aînés

Ma chère maman,

Comme tant d’autres de ta génération et de ton âge, tu vis une drôle de période pas marrante du tout. Ton âge? Tu as eu huitante ans le 22 mars dernier. Et ça ne se voit pas, mais alors pas du tout, comme on te le fait souvent remarquer. Bon, ça c’est normal, c’est ainsi chez les filles Dubey! Emile le dit souvent et il a raison, mon petit papa.

Ces huitante printemps devaient avoir un goût de fête. Parce que ces huitante bougies, tu avais prévu de les souffler en famille, entourée de tes proches. Virus oblige, les réjouissances n’ont pas eu lieu. Le gros buffet de desserts que tu convoitais avec gourmandise est resté un doux rêve. Les accolades et les gros bisous aussi. Personne n’a trinqué. Sauf toi. Et tu n’as rien dit, fidèle à toi-même. Aucune complainte, ni jérémiade. Ce n’est pas le genre de la maison. Qui a déjà connu pas mal de tuiles ces derniers temps. Après avoir snobé une marche, tu as passé les fêtes de fin d’année à l’hôpital. Sans te plaindre, jamais. Comme d’habitude!

Je t’imagine lisant ces quelques lignes en ce joli matin de printemps après avoir dévoré la plage de vie et soigneusement épluché les avis mortuaires, bien sûr. Je t’entends faire quelques commentaires à voix haute, puis gentiment t’écrier: «Euh mais Milo, viens voir, mais qu’est-ce qu’elle a fait Stéphanie?!» Je te vois d’abord ne pas comprendre avant de relire encore une fois, juste pour être sûre. Et trouver cette lettre, ces quelques lignes, forcément étranges et bizarres. Comme d’habitude!

Je sens aussi l’odeur du petit café, des tartines. Je te regarde faire ta gymnastique, puis ta toilette matinale. Je t’écoute répondre aux appels des frangines, les tiennes comme les miennes, mettre le téléphone sur haut-parleur. Raconter, discuter, redire que «mais oui, ça va très bien», que vous n’avez besoin de rien, papa et toi, que c’est comme ça et puis c’est tout, qu’il faut prendre son mal en patience. «Après tout, qu’est-ce qu’on veut faire d’autre?» Comme d’habitude!

Je t’aperçois t’installer sur le canapé, enlever et ranger deux ou trois «chenis» qui traînent et profiter d’un de ces moments de solitude que tu affectionnes tant. Puis avoir une pensée émue pour tes petits-enfants, jeter un œil sur leur photo, essayer d’imaginer ce qu’ils font et te faire un peu de souci pour eux. Comme d’habitude!

Tu vois, tu l’entends et tu le sens, ma chère et douce maman, finalement c’est comme si j’étais là, avec toi. Et ce sera toujours comme ça!

Stéphanie Schroeter, Journaliste à La Liberté, Fribourg


» Cette opération de solidarité est lancée de concert avec d’autres quotidiens régionaux de Suisse romande: Le Quotidien Jurassien dans le Jura, Arcinfo à Neuchâtel, Le Journal du Jura (Berne francophone) et Le Nouvelliste, en Valais. La Côte, basée à Nyon, et le magazine Générations se sont également joints au mouvement.

Mais la solidarité ne se confine évidemment pas aux seules rédactions. C’est pourquoi nous vous lançons un appel, à vous, chers lecteurs: écrivez vous aussi votre lettre à nos aînés et faites-nous la parvenir par courriel à l’adresse suivante: redaction@laliberte.ch. Nous publierons les plus belles dans nos prochaines éditions.

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus