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Religions

Protestants d’Algérie sous pression

L’Algérie compte un nombre inédit de conversions chrétiennes, malgré les discriminations


Mathilde Aubert

Mathilde Aubert

12 février 2022 à 02:01

Conversions » «Chaque année, des centaines de baptêmes étaient célébrés à la grande église de Tizi Ouzou, témoigne le pasteur Youssef Ourahmane, et le paradoxe est celui-là: sous l’effet de la persécution, l’Eglise grandit.» Selon l’organisation non gouvernementale Portes Ouvertes, qui établit chaque année l’Index mondial des chrétiens persécutés, l’Algérie, qui compte 98,2% de musulmans, est un des pays appartenant au monde arabo-musulman qui connaît le plus grand nombre de conversions. Une spécificité qui plonge ses racines en Kabylie, la vaste région d’Algérie de langue et de culture berbère.

Ce «réveil» chrétien en Kabylie remonte au début des années 1980. Les conversions ont commencé à se multiplier à l’occasion d’un épisode de guérison spectaculaire. La communauté est aujourd’hui organisée sous l’égide de l’Association de l’Eglise protestante d’Algérie (EPA). Après une période de liberté, l’étau a commencé à se resserrer sur ces convertis, qui sont tous issus de familles musulmanes.

Prosélytisme interdit

A cet égard, l’ordonnance du 28 février 2006 a constitué un tournant: en régulant la foi des non-musulmans, elle a condamné tout prosélytisme qui serait de nature à ébranler la foi musulmane. Cette ordonnance empêche désormais la distribution de tout matériel appartenant à la foi chrétienne, tels que les Evangiles ou la Bible. Sur les 46 églises membres de l’EPA, 16 sont aujourd’hui fermées par le gouvernement, y compris la grande église Full Gospel Church de Tizi Ouzou, depuis octobre 2019. Les entraves administratives sont importantes dès lors qu’il s’agit d’avoir une base légale pour leur création ou leur fonctionnement.

Mais les convertis souffrent en premier lieu de discriminations venant de leurs propres familles qui n’acceptent pas leur foi. Ils sont obligés de cacher tout signe d’appartenance chrétienne à leur entourage social, tandis que les autorités sont préoccupées par le désordre que pourrait engendrer leur présence face à trois années de contestation sociale et politique. Sans parler de la pression qu’exercent les mouvements islamistes, très hostiles à l’implantation du christianisme dans le pays.

Surveillance étroite

Tous ces tracas n’empêchent pas Frère Rachid de garder la foi. «Dès qu’on accepte le Christ dans nos vies, on entre dans un combat. On est rejetés par la famille, par la communauté, par certaines autorités», explique ce pasteur de l’église protestante du centre-ville d’Oran. «Moi-même j’ai été arrêté plusieurs fois, j’ai dû fermer ma librairie, accusé d’avoir vendu des bibles, et je suis actuellement condamné à un an de prison avec sursis.»

Son cas n’est pas isolé. Selon Portes Ouvertes, Hamid Soudad, chrétien et père de quatre enfants, a été condamné à cinq ans de prison pour blasphème, de même que deux autres chrétiens, condamnés à six mois de prison et des amendes allant jusqu’à 1500 euros. Selon l’Index mondial des chrétiens persécutés, l’Eglise protestante d’Algérie, qui compte plus de 120 000 fidèles, essentiellement kabyles, fait l’objet d’une surveillance plus étroite que l’Eglise catholique. Les raisons? Elle est constituée essentiellement de musulmans convertis, là où l’Eglise catholique est composée aujourd’hui essentiellement d’étrangers. Elle est en expansion et suspectée de chercher à évangéliser, là où l’Eglise catholique met en avant le concept de fraternité (voir encadré). Enfin, elle est plus nombreuse que l’Eglise catholique, qui ne compte que quatre diocèses dans le pays et quelques milliers de fidèles.

Nuance oblige, dans ce pays où le chrétien vit dans une incertitude constante, le pasteur Youssef Ourahmane tient à souligner que son Eglise ne cherche pas à s’opposer aux autorités, mais à aider les chrétiens à vivre leur foi.

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