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Histoire vivante

Poutine resserre l’étau sur les médias

A l’approche des élections présidentielles, le contrôle de la presse et d’internet se durcit en Russie


 Pascal Fleury

Pascal Fleury

2 mars 2018 à 05:00

Russie »   Cas de censure, blocages de sites d’information, arrestations de blogueurs, condamnations de journalistes… A l’approche des élections présidentielles, la pression sur les médias indépendants ne cesse de s’intensifier en Russie.

L’ONG Reporters sans frontières (RSF), relayée par la presse occidentale, multiplie les alertes et les dénonciations, affirmant sur son site qu’alors que les grandes chaînes de télévision russes «abreuvent les citoyens d’un déluge de propagande, l’atmosphère devient étouffante pour ceux qui remettent en cause la nouvelle vulgate patriotique et néoconservatrice, ou ceux qui cherchent tout simplement à défendre un journalisme de qualité».

«Activités terroristes»

Exemple parmi d’autres, à la fin janvier, le domicile du journaliste d’investigation Pavel Nikouline a été perquisitionné par des agents du FSB, les services secrets russes. Selon RSF, le rédacteur en chef du magazine Moloko plus et coprésident d’un syndicat de journalistes est entendu comme témoin dans une enquête ouverte pour «entraînement dans le but d’accomplir des activités terroristes».

Cette affaire est liée à l’interview d’un djihadiste russe qu’il avait publiée en mars 2017 dans le magazine indépendant The New Times. Le média avait reçu trois mois plus tard une amende de 100 000 roubles (environ 1650 francs) pour «apologie du terrorisme» et avait dû supprimer de son site l’article en question. Pour Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale à RSF, «cette démonstration de force viole le principe de la protection des sources, garanti à la fois par la loi russe et la Cour européenne des droits de l’homme».

Corruption, sexe et vidéo

Le durcissement de la politique de contrôle des médias concerne en particulier internet. C’est ainsi que le 24 janvier dernier, le site d’information Russiangate a brutalement mis un terme à ses activités, au lendemain de la publi­cation d’une enquête sur le chef des services secrets russes, Alexandre Bortnikov. Le site a été débloqué le lendemain, mais expurgé de l’article incriminé. Selon sa rédactrice en chef, Alexandrina Elagina, l’avenir du site n’est plus garanti, certains investisseurs ayant décidé de mettre fin au financement du média.

«Le journalisme d’investigation ayant déjà pratiquement disparu des médias russes, ce nouveau coup est un avertissement aux dernières rédactions qui continuent malgré tout à enquêter sur la corruption et d’autres sujets d’intérêt général», commente Johann Bihr.

Il y a deux semaines, c’est le site de l’opposant russe à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny, qui a été censuré sur ordre de l’autorité de contrôle des médias, le Roskomnadzor. Le blocage concernait une vidéo accusant le vice-premier ministre russe Sergueï Prikhodko de bénéficier des largesses du milliardaire de l’aluminium Oleg Deripaska.

L’oligarque a exigé que toutes les informations relatives à sa vie privée, notamment une vidéo le montrant avec un homme ressemblant à M. Prikhodko sur son yacht, soient retirées d’internet et des médias ayant couvert l’affaire. Il faut dire que la dénonciation de Navalny, écarté de l’élection présidentielle en raison d’une condamnation judiciaire, se base en partie sur les révélations d’une escort-girl biélorusse, Nastia Rybka, qui a raconté sa liaison avec l’oligarque dans un récent ouvrage.

Selon une source proche du dossier, citée par l’AFP, les autorités russes ont menacé Instagram de bloquer complètement l’accès au service pour lui faire retirer des publications. Le réseau social détenu par Facebook a confirmé qu’il lui arrivait de se plier aux demandes de gouvernements, «lorsque quelque chose, sur internet, enfreint leurs lois».

L’été dernier, le Parlement russe a renforcé la législation au nom de la sécurité intérieure, imposant un contrôle plus strict d'internet. Les nouvelles lois interdisent l’anonymat sur internet et l’utilisation de certains réseaux privés virtuels (VPN). Elles obligent les moteurs de recherche à masquer les liens vers les sites bloqués et exigent des entreprises qu’elles empêchent la diffusion de contenus illégaux sur leur plateforme. En outre, elles demandent, pour les messageries comme Telegram, Viber ou WhatsApp, que l’opérateur établisse l’identité de l’utilisateur au moyen de son numéro de téléphone. Telegram a déjà été amendé pour avoir refusé de livrer ses clés de chiffrement aux services secrets. Les organisations Human Rights Watch et Amnesty International dénoncent ces nouvelles atteintes à la liberté d’expression.

Tout aussi préoccupante, l’adoption en novembre dernier de la loi sur les médias «agents de l’étranger». Ce label stigmatisant, qui sent la paranoïa soviétique, avait déjà été dépoussiéré en 2012, pour «empoisonner un peu plus la vie des ONG en Russie, en particulier celles qui défendent les droits de l’homme et luttent contre la corruption des autorités, qui dépendent largement de subventions internationales», rappelle Libération.

«Agents de l’étranger»

L’extension de la loi aux médias serait une mesure de rétorsion après le classement par Washington de la chaîne RT comme «foreign agent». En vertu du nouvel amendement, toute personne qui diffuse des messages et matériaux écrits, audio et vidéo, à un cercle indéfini, tout en recevant de l’argent de sources étrangères, pourra être désignée «média agent de l’étranger».

La loi ne précise pas le type d’information ou de support concernés. Mais Voice of America, Radio Free Europe/Radio Liberty et sept services affiliés sont déjà visés par le Ministère de la justice.


 

Le Kremlin distille sa propagande sur la nouvelle chaîne RT France

Passé maître dans le contrôle de l’information, le Kremlin agit aussi à l’étranger. Il vient de lancer une nouvelle chaîne de télévision en français, RT France (ex-Russia Today), qui est diffusée depuis mi-décembre sur internet et proposée par l’opérateur français Free. Forte d’une rédaction de 50 journalistes et dotée d’un budget de 20 millions d’euros financé par Moscou, cette chaîne complète un bouquet en russe, anglais, espagnol et arabe déclarant globalement 700 millions de spectateurs dans plus de cent pays.

Avec son slogan «Osez questionner!», RT France promet un point de vue «alternatif» brisant le politiquement correct. Elle ne se veut pas la «voix de la Russie», a souligné sa directrice de l’information Xenia Fedorova (photo Keystone). Pour divers observateurs, cette nouvelle chaîne, installée à Paris, reste toutefois clairement un «outil de propagande» et de «soft power» au service de Vladimir Poutine. Julien Nocetti, spécialiste de la Russie à l’Ifri, va plus loin dans le magazine Décideurs. Il estime que l’objectif de Moscou est de polariser au maximum les champs politiques et les débats en Occident. Il faut s’attendre à ce que la chaîne TV génère des polémiques, «notamment en attisant le sentiment nationaliste, antieuropéen, anti-OTAN… et en soufflant sur toute braise de nature à accentuer les clivages au sein de l’opinion et à perturber le jeu politique». PFY


 

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