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Histoire vivante

«Noël n’a cessé de se réinventer»

La Nativité a été fêtée très diversement à travers les siècles. Explications de l’historien François Walter

La tradition des sapins de Noël s’est popularisée au XIXe siècle sous l’influence germanique.

 Propos recueillis par Pascal Fleury

Propos recueillis par Pascal Fleury

22 décembre 2017 à 05:00

Traditions »   Noël n’est pas la fête immuable que l’on croit. De l’humble célébration religieuse des premiers siècles aux dérives consuméristes d’aujourd’hui, elle n’a cessé de se réinventer. Coauteur d’un riche ouvrage sur le sujet*, l’historien François Walter, professeur honoraire à l’Université de Genève et domicilié à Fribourg, met en lumière la véritable histoire de cette Nativité désormais standardisée dans le monde entier.

Depuis quand et pourquoi Noël est-il fêté le 25 décembre?

François Walter: Depuis le IVe s., l’Eglise de Rome s’est intéressée à déterminer la date de la naissance du Christ par souci historique. Jusque-là, comme les chrétiens s’attendaient à une fin des temps proche, ils n’avaient pas besoin de repères chronologiques pour la vie du Christ. Pour fixer la date de Noël, l’Eglise s’est référée à l’Evangile de Luc, qui place la naissance de Jésus six mois après celle de Jean le Baptiste (Luc 1,36). Et à celui de Jean, qui fait dire à Jean le Baptiste: «Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse» (Jn 3,30). C’est de cette phrase elliptique que la Nativité a été arrêtée au solstice d’hiver, lorsque le jour recommence à croître. Il s’agit aussi d’une référence à la rhétorique solaire, le Christ étant présenté comme la lumière.

Ce choix ne visait-il pas aussi à contrer des fêtes païennes?

C’est ce que tout le monde dit. Mais la première fois que cette concurrence est évoquée, c’est seulement dans un texte syriaque du XIIe siècle. Cette idée va être massivement reprise à partir du milieu du XIXe siècle, quand se développe une campagne pour éradiquer le caractère chrétien de Noël. La thèse défendue alors par les ethnologues, anthropologues et folkloristes, c’est que Noël était fêté bien avant le christianisme au moment du solstice, et que le christianisme n’a fait que surimposer un vernis chrétien à des fêtes païennes.

Avec votre confrère Alain Cabantous, vous remettez en question cette thèse?

En analysant les textes anciens, nous avons découvert qu’au moment du solstice, qui était le 25 décembre pour les Romains, il n’existait pas de fête du soleil à Rome, les fêtes solaires ayant lieu à d’autres dates de l’année. Notre hypothèse est que l’Eglise a choisi une date libre, à dessein entre deux grandes fêtes romaines, les saturnales, qui se terminaient le 22 décembre, et les calendes, qui marquaient le début de l’année. Quand le Concile de Nicée, en 325, a réajusté la date du solstice d’hiver au 22-23 décembre, Noël est resté au 25 décembre parce que, justement, l’événement ne se voulait pas la fête du soleil. Ce fut un choix politique: ramener le peuple au sens chrétien de la fête. La première notification de Noël un 25 décembre se trouve dans un calendrier de 336.

Noël est d’abord une fête exclusivement religieuse...

A la base, Noël est une simple fête liturgique. Sa valorisation débute au Moyen Age tardif, en lien avec la valorisation de l’Enfant Jésus. On le voit dans l’iconographie: ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle qu’il est représenté en nouveau-né sous l’influence de la théologie de saint Bernard de Clairvaux, très attentif à la faiblesse du Christ incarné, pauvre et fragile. Cet aspect émotionnel va se développer avec les courants mystiques.

Comment Noël était-il fêté durant les premiers siècles?

Sa première spécificité, attestée dès le Ve siècle, c’est la messe de minuit. L’idée était vraisemblablement de coller avec le texte biblique. Au IVe siècle, on trouve déjà des bas-reliefs montrant la Nativité, avec Jésus, Marie et Joseph. Mais la tradition des crèches ne démarre qu’après saint François d’Assise, qui obtient du pape l’autorisation de célébrer Noël dans une grotte, en référence à celle de Bethléem. Il fait mettre de la paille et amener un bœuf et un âne, mais pas de nouveau-né. La tradition veut que pendant cette messe de 1226, un participant ait eu une vision: il a vu saint François tenant un enfant dans ses bras. La légende a fait le reste...

La décoration des églises avec du gui, du houx et des sapins remonte-elle à cette époque?

Noël est une fête qui ne cesse de se réinventer. Sa grande force, c’est d’avoir réussi à agglomérer autour du 24-25 décembre toutes sortes de rituels païens pratiqués à différentes dates de l’hiver. Le Christ étant vu comme la nouvelle lumière, il n’est pas étonnant qu’on ait fait appel à la symbolique du renouveau de la végétation, déjà utilisée bien avant le christianisme. Au solstice d’hiver, on érigeait un arbre vert, comme les arbres de mai. Cet arbre avait aussi une symbolique théologique. Il représentait l’arbre du paradis lors des «mystères de Noël», ces représentations théâtrales données sur le porche des églises. L’arbre était garni de pommes rouges rappelant le fruit défendu et d’hosties figurant le Christ, en fait des «oublies» sucrées comme on en trouve encore en Pologne. Dans la Bible, le Christ est aussi appelé le nouvel Adam.

Noël a aussi été exploité à des fins politiques…

Le Christ étant qualifié de roi de l’univers, les monarques se considéraient comme les représentants du Christ sur terre. Plusieurs rois se sont fait couronner le jour de Noël, comme Charlemagne en 800 ou Guillaume le Conquérant en 1066. Une date symbolique adoptée aussi par le tsar Nicolas Ier en 1825. Les monarques se faisaient volontiers représenter en Rois mages, en particulier dans le Saint Empire romain germanique, qui détenait les prétendues reliques des Mages à Cologne depuis 1164.

Au XVIIIe s., l’ambiance de Noël se révèle plus débridée...

Noël se vivait à l’époque surtout dans l’espace public. Les villageois passaient la journée à l’auberge. Ils n’arrivaient plus très frais au culte de fin d’après-midi, encore moins à la messe de minuit. Côté protestant, des témoignages parlent de gens avinés qui chantent, crient, invectivent le pasteur. Côté catholique, les débordements paillards sont plus ou moins tolérés. On fait éclater des vessies gonflées, des moutons bêlent lors de l’élévation… Mais les gens, qui ne comprennent rien au latin, ne se contentent pas de causer, ils mangent, boivent, s’embrassent, «forniquent» même, selon certains textes. La tendance est alors d’interdire la messe de minuit dans certaines régions. Mais on n’a jamais réussi à «moraliser» les célébrations de Noël. Aujourd’hui encore, sans musique, chants, cloches ou crèches vivantes, que serait la messe de minuit?

Depuis le XIXe siècle, on observe un repli sur la famille...

L’influence est germanique. Pour lutter contre les dérives de Noël, en pays protestants, on s’est mis à promouvoir un modèle de Noël à la maison plutôt qu’à l’église. Avec un rituel quasi obligé en famille: sapin décoré, chants traditionnels, cadeaux aux enfants… Le rituel germanique s’est imposé au monde dans le contexte de l’émergence des Etats-nations. Au Congrès de Vienne, en 1815, des sapins illuminés font l’attraction. L’aristocratie européenne suit. Les guerres de 1870 et 1914 y contribuent. Au front, chaque compagnie allemande arbore son sapin. Aujourd’hui, avec la mondialisation, le modèle continue de s’enrichir. Mais cette fois, le vent vient des Etats-Unis...

* Alain Cabantous et François Walter, Noël, une si longue attente, Payot, 2016.

Pas de ­documentaire TV en raison du programme des fêtes.


 

Le Christ est très vraisemblablement né au printemps

Avant le IVe s., quand la fête de Noël n'existait pas encore, suivant la tradition des Pères de l’Eglise, la naissance du Christ était fixée au printemps. Ce qui est logique puisque dans les Evangiles, il est dit qu’au moment de la Nativité, il y avait des bergers avec leurs troupeaux dans les champs. «En Palestine, il peut faire froid. Les bergers ne dorment pas à l'extérieur en décembre. Et les agneaux naissent plutôt au printemps», explique François Walter.

Une tradition juive voulait que les prophètes naissent et meurent à la même période de l’année, pour que leur cycle de vie soit parfait. Jésus étant mort incontestablement à Pâques, les théologiens ont résolu le problème en faisant coïncider la date de sa mort (autour du 22 mars) à celle de sa... conception!

Les phénomènes célestes sont une autre constante, lors de la naissance des prophètes. Dans l’Evangile de Matthieu, il est question d’une étoile. «En consultant les calendriers astronomiques, notamment chinois, les chercheurs ont trouvé une conjonction de planètes qui a pu avoir lieu entre la fin du printemps et le début de l’été de l'an 6 avant J.-C., selon notre comput», affirme l’historien. Pour lui, si l’on se fie à la science, il apparaît clairement que le Christ est né au printemps. «Mais faute de source historique, la discussion reste ouverte.» PFY

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