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Histoire vivante

Une onde de choc devenue continentale

«Histoire vivante» • La crise à l’est de l’Ukraine, loin d’être refermée, a marqué à des degrés divers le paysage politique de la mer Baltique au Caucase. La question du sort des russophones, notamment, est revenue au premier plan.

«Le cas le plus emblématique est celui de la Transnistrie», analyse Nicolas Hayoz, professeur en sciences politiques, spécialiste des pays d'Europe centrale et occidentale.

Propos recueillis par Pascal Baeriswyl

Propos recueillis par Pascal Baeriswyl

12 mai 2015 à 21:33

Un an et demi après le début des événements en Ukraine, la tension reste forte à l’est du pays malgré un fragile cessez-le-feu. Au-delà des frontières ukrainiennes, la vague de contestation, mais aussi les craintes de nouvelles déstabilisations ont touché la plupart des pays issus de l’ancien bloc soviétique. D’Europe du Nord aux Balkans, en passant par le Caucase, chacun de ces pays a plus ou moins ressenti l’onde de choc partie de Kiev. L’analyse de Nicolas Hayoz, professeur en sciences politiques et spécialiste des pays d’Europe centrale et orientale à l’Université de Fribourg.

- L’Ukraine a récemment adopté des lois mémorielles, qui visent à «désoviétiser» le pays. Ces lois mettent sur le même pied les régimes nazi et soviétique, demandant par exemple le démontage des monuments à la gloire de l’URSS. Est-ce une façon de réécrire l’Histoire?

Nicolas Hayoz: Je pense en effet que les Ukrainiens sont un peu tombés dans ce piège, en refaisant à leur tour ce qui a été fait du côté russe. Le gouvernement actuel, élu démocratiquement, devrait éviter de jeter de l’huile sur le feu alors que la crise avec la Russie perdure. D’un autre côté, on peut comprendre les Ukrainiens, pour qui l’ennemi aujourd’hui a le visage de la Russie. Mais ce genre de loi risque néanmoins d’être contre-productif.

- Deux millions d’Ukrainiens ont contribué à la victoire de l’armée soviétique durant la Seconde Guerre mondiale: peut-on les priver des marques de ce passé?

Evidemment pas. En fait, la démarche ukrainienne ressemble à ce qui s’est passé il y a quelques années dans les pays Baltes, avec leur législation sur les langues (lois défavorables à l’importante minorité russe de Lettonie notamment, ndlr). C’est l’Union européenne (UE) qui avait alors amené les Baltes à faire marche arrière.

En Lettonie, par exemple, l’acquisition de la nationalité lettone pour les citoyens de la minorité russe continue-t-elle à faire problème?

Oui, car l’acquisition n’est pas automatique, même si vous êtes né dans le pays. Mais certains russophones ne souhaitent pas acquérir cette nationalité. Une partie de la population continue donc d’être des «non-ressortissants» ou «non-citoyens» lettons. En 2015, ils sont 260'000 soit 12% de la population à être dans ce cas, tout en étant bien intégrés et en profitant de l’Union européenne.

- «Réunir» en quelque sorte les russophones vivant hors de la Russie est-il, comme on l’entend parfois, un objectif de Vladimir Poutine?

En tout cas, il n’hésite pas à le dire, en se hissant au rang de protecteur des gens parlant russe. Cela ne concerne pas, bien sûr, tous les russophones hors de Russie, mais plutôt ceux du «voisinage proche», des pays qui font partie de la sphère d’intérêt de Moscou. Pour autant, s’agit-il d’une volonté ferme, ou plutôt d’une façon de bloquer tout changement à l’intérieur des pays à minorité russe? Je penche plutôt pour la seconde hypothèse.

- Dans quel autre pays la présence de minorités russophones pourrait-elle devenir un casus belli?

Le cas le plus emblématique est celui de la Transnistrie (bande de terre moldave séparatiste, coincée entre Ukraine et Moldavie, ndlr). Tous les ingrédients y sont réunis: une minorité russophone, des troupes russes, une dépendance économique vis-à-vis de Moscou, une élite rêvant de rejoindre la Russie. Il y a là un risque pour la Moldavie qui abrite elle-même une minorité russe (voir aussi ci-dessous).

- La Moldavie, justement, reste très partagée entre ses aspirations européennes et la tradition d’appartenance à la sphère russe?

Oui, tout à fait. Le cas moldave ressemble à celui d’autres pays dans le même cas. Tant que l’UE ne s’y engagera pas avec de gros projets de développement économique, type «plan Marshall», certains préféreront s’aligner sur le projet russe d’Union eurasiatique (projet de grand marché économique dominé par la Russie, ndlr).

- Qu’en est-il du pays voisin de la Moldavie, la Biélorussie? Est-ce qu’un mouvement de contestation type Maïdan y serait possible?

C’est un pays qui flirte à la fois avec les Russes et les Européens. Mais tant que le président Loukachenko sera là, on imagine mal une révolution à l’ukrainienne. La main de fer y est totale et les quelques centaines de personnes dangereuses pour le régime sont aujourd’hui en prison.

- En Europe orientale ou balkanique, quels autres pays ont été touchés par le mouvement parti d’Ukraine il y a un an et demi?

Des manifestations de type Maïdan ont eu lieu à Sofia (Bulgarie) ou à Sarajevo (Bosnie). Mais, en général, il s’agit plutôt d’une contestation contre des pouvoirs corrompus. On le voit actuellement encore avec les manifestations contre le premier ministre en Macédoine. D’un autre côté, la question albanaise pourrait elle aussi ressurgir, car dans les Balkans, les pays sont en position d’attente dans la perspective d’entrer dans l’UE. Ainsi la candidature de la Macédoine est, elle, complètement bloquée par la Grèce. Cette situation entraîne des frustrations qui peuvent tôt ou tard dégénérer.

- Dans la foulée des événements en Ukraine, les relations se sont nettement tendues entre la Russie et les pays Baltes, mais aussi avec la Pologne ou la Roumanie. Seule exception, la Hongrie du premier ministre Orban a déroulé le tapis rouge devant Poutine en février…

Je pense que l’histoire particulière de la Hongrie y est pour beaucoup. La Hongrie, qui faisait partie d’un empire, a perdu deux tiers de son territoire après la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, beaucoup de minorités hongroises vivent dans d’autres pays. De là l’attrait des Hongrois pour un discours de droite, autoritaire, faisant appel à leur fierté nationale. Mais la Hongrie n’est pas seule dans ce cas, à l’image du président tchèque Milos Zeman, qui a voulu aller à Moscou le 9 mai pour commémorer la victoire de l’URSS contre l’Allemagne nazie (pour ne froisser personne, il n’a cependant pas assisté au défilé, ndlr).

> Voir aussi le documentaire «Ukraine, chronique d’un déchirement», dimanche soir sur RTS2.

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Singularité du Caucase

- Pays caucasien, la Géorgie a été en conflit ouvert avec la Russie, en 2008 encore. Comment évolue la relation entre ces deux voisins?

N.H.: Leurs relations se sont améliorées depuis le départ de Saakachvili (2013), qui était l’ennemi juré de Poutine. Très enthousiasmés au début par la révolte en Ukraine, les Géorgiens le sont nettement moins désormais.

- Aujourd’hui, qu’est-ce qui différencie l’est de l’Ukraine de l’Abkhazie ou de l’Ossétie du Sud (provinces géorgiennes séparatistes soutenues par la Russie)?

La différence, c’est que si l’on faisait voter les habitants du Donbass, à l’est de l’Ukraine, une majorité serait probablement pour le maintien dans l’Ukraine. Car les populations y sont très mélangées. Tandis qu’en Abkhazie ou en Ossétie du Sud, un véritable nettoyage ethnique a été effectué.

- Plus généralement, les événements d’Ukraine ont-ils changé la donne dans le Caucase?

Le conflit ukrainien a provoqué des réactions complètement contradictoires dans le Caucase. Par exemple, l’Azerbaïdjan veut récupérer le Haut-Karabakh (occupé par l’Arménie, ndlr). Pour elle, le principe de l’inviolabilité territoriale est beaucoup plus important que celui de l’autodétermination. Au contraire des Arméniens, qui veulent garder le Karabakh et sont donc beaucoup plus réservés par rapport à l’Ukraine ou à la Crimée. Autres intérêts, autres principes… 

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