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Économie

Vers la fin de la hausse

La montée des taux d’intérêt ralentit fortement l’essor des prix du logement. Baisses pas exclues


 Yves Genier

Yves Genier

5 mai 2022 à 04:01

Immobilier » Rattrapée par une inflation qu’elle n’arrivait plus à maîtriser, la Banque nationale augmentait, entre l’été 1988 et l’été 1991, son taux d’intérêt de référence de 2,5% à… 7%, faisant exploser les taux d’intérêt hypothécaires. Ce quasi-triplement du loyer de l’argent a entraîné la plus grave crise immobilière de l’histoire de la Suisse moderne, que le pays a mis près de dix ans à surmonter.

La situation présente n’est certes pas aussi sérieuse. Mais la hausse soudaine des taux d’intérêt hypothécaires depuis le début de cette année – ils ont pratiquement doublé depuis janvier pour les durées les plus longues, pour dépasser le seuil de 2% – change la donne du marché du logement. Comme emprunter devient plus cher, le nombre de personnes disposant des moyens financiers leur permettant d’acheter un appartement ou une villa devrait se réduire encore plus vite que ces dernières années. La diminution du nombre d’acheteurs devrait ainsi fortement ralentir, voire arrêter, la hausse des prix qui semble inarrêtable depuis une décennie et qui a été encore accélérée par la pandémie.

Surévalué de 30%

«Les marchés doivent faire preuve de vigilance, vu le niveau des prix», a averti Andréa Maechler, membre de la direction générale de la Banque nationale suisse (BNS), lors d’une conférence sur l’immobilier organisée hier matin par la Banque cantonale vaudoise (BCV) à Lausanne. Et de détailler: les prix du logement ont augmenté de 60% en moyenne nationale depuis 2010.

Or, la BNS a calculé la part de surévaluation de ces prix, et elle est considérable: elle avoisine 30% si l’on compare l’évolution des prix d’achat de ceux des loyers payés par les locataires pour des logements comparables. Et même de 33% environ si l’on mesure l’évolution des prix en fonction de l’évolution du produit intérieur brut (PIB) par habitant.

Une telle évolution réduit le nombre de personnes ayant les capacités financières de s’offrir un logement. Elle fragilise aussi, au moins potentiellement, les propriétaires actuels de logements. Toujours selon la BNS, une hausse de taux hypothécaire à 3% mettrait 18% des ménages propriétaires dans la situation où ils devraient consacrer plus de 30% de leur revenu brut à leurs engagements bancaires, à savoir honorer leurs intérêts, les amortissements et les coûts d’entretien de leur logement. Si les taux hypothécaires devaient dépasser 5%, ce seraient plus d’un ménage propriétaire sur deux qui serait concerné.

Quant aux investisseurs individuels qui ont acheté un logement pour le louer, cette vulnérabilité à la hausse des taux d’intérêt hypothécaire est encore plus élevée: 30% des propriétaires fragilisés si les taux avoisinent 3%, et même plus de 60% si les taux atteignent ou dépassent 5%. De quoi provoquer plus d’une vente forcée par la banque, avec son cortège de pertes financières et de frustrations personnelles. Et de mises sur le marché de maints logements à même de déséquilibrer l’offre par rapport à la demande, entraînant une baisse générale des prix.

Banques à l’abri

Mais qu’on se rassure: les banques ne seraient pas celles qui souffriraient le plus de cette situation: elles ont accumulé suffisamment de fonds propres – ces réserves financières obligatoires – pour faire face aux coups durs, a ajouté Andréa Maechler. Cette dernière précision montre toute l’étendue de l’inquiétude qui règne aussi bien dans les milieux financiers et bancaires qu’immobiliers face à ces perspectives.

Celles-ci dépendent toutefois du rythme et de la hausse des taux d’intérêt, et du sommet qu’ils devraient atteindre. René-Pierre Giavina, stratégiste de la BCV, a signalé que les marchés financiers anticipent une hausse marquée aux Etats-Unis et en zone euro cette année avant une stabilisation l’an prochain. Après la hausse de la Fed de la nuit dernière, la Banque centrale européenne (BCE) devrait passer à l’action dès juillet et sortir des taux négatifs avant la fin de l’année. La BNS devrait suivre, quoique dans une proportion moindre, cette année encore. Vu l’inconfort que suscite le maintien du taux directeur à – 0,75% depuis 2015, la Banque centrale helvétique n’a aucune raison de laisser passer la moindre occasion de le relever sitôt que la situation sur le front des changes lui en laissera l’occasion.

Ces hausses de taux dépendront, à la base, de l’évolution de l’inflation: si elle atteint son pic ce printemps, comme l’espèrent la majorité des spécialistes de la macroéconomie, les hausses de taux d’intérêt seront limitées. Mais si elle dérape sous la pression des prix de l’énergie et des pénuries et du marché du travail, le cortège des hausses du loyer de l’argent ne fait que commencer. Avec un impact d’autant plus sévère sur les prix du logement que ces hausses de taux d’intérêt seront prononcées.

(legende)La hausse soudaine des taux hypothécaires depuis le début de cette année – ils ont pratiquement doublé depuis janvier pour les durées les plus longues – change la donne du marché du logement. Keystone

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