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Économie

Repli vers le mazout

Face au risque de pénurie, des entreprises renoncent au gaz au profit du fioul, non sans difficultés


Maude Bonvin

Maude Bonvin

13 octobre 2022 à 23:39

Temps de lecture : 1 min

Abandonner le gaz pour le pétrole. Il y a près d’un mois, le Conseil fédéral priait les entreprises de faire ce pas, face au risque de pénurie cet hiver. Avec la guerre en Ukraine, la Russie a resserré le robinet du gaz. Seules les firmes disposant d’installations bicombustibles sont concernées par ce changement volontaire d’énergie. La part du gaz consommé dans les installations bicombustibles est estimée à 20% par l’Administration fédérale.

Le fabricant d’emballages en verre Vetropack a décidé de passer au mazout sur son site de Saint-Prex (VD). «Cette opération est possible car nous fonctionnions encore au pétrole il y a une dizaine d’années. L’infrastructure correspondante se trouve donc toujours en place. Cependant, ce changement n’est pas si facile à réaliser dans nos usines en dehors de la Suisse», précise Simone Koch, responsable de la communication du groupe. L’entreprise possède une dizaine de fabriques à travers l’Europe.

Dispositifs bicombustibles

La production de verre nécessite de fondre dans un four à environ 1600 degrés des matières premières comme le sable, le quartz et le calcaire. Jusqu’en 2013, la verrerie de Saint-Prex consommait quelque 30 tonnes de mazout lourd par jour.

Du côté de Nestlé, un passage partiel du gaz au fioul est l’une des options possibles. Quant aux industries Migros, elles disposent d’installations bicombustibles pour lesquelles elles sont déjà passées au mazout.

Grand consommateur d’énergie, Holcim n’a, lui, pas procédé à cette commutation. «Nous ne disposons pas des installations nécessaires. Nous n’avons recours qu’à de très petites quantités de gaz pour des travaux de maintenance ou pendant des révisions, pour maintenir l’approvisionnement en chauffage à distance. Nous n’utilisons pas de gaz pour nos processus de production en cimenterie», souligne un porte-parole.

De son côté, Dottikon a rempli ses réservoirs de pétrole. Le spécialiste des produits chimiques peut remplacer environ 95% de son usage du gaz par du fioul.

Thomas Hegglin, de l’Association suisse de l’industrie gazière (Asig), indique qu’il existe environ 900 dispositifs bicombustibles sur sol helvétique. Quelque 63 sociétés concentrent les deux tiers de la puissance totale de ces installations. L’Asig ne dispose toutefois pas de données sur le nombre d’entreprises qui ont changé de combustible.

Des surcoûts dissuasifs

Pour le directeur romand de Swissmem Philippe Cordonier, passer du gaz au mazout n’est pas si facile. Le prix du pétrole reste élevé, à 92 dollars le baril (même montant en francs). «Pour les entreprises qui ne disposent pas de réserves, cette charge supplémentaire peut s’avérer dissuasive», souligne-t-il. Et d’ajouter que sans obligation, les sociétés font au plus simple, en réalisant un rapide calcul. «Si chaque cas est particulier, les coûts de production s’avèrent finalement déterminants», précise-t-il. Dans un contexte où les marges s’effritent, le risque de pénurie d’énergie n’est pas actuellement le souci prioritaire de la plupart des industriels, selon le responsable romand de l’association faîtière des machines, des équipements électriques et des métaux.

Les entreprises ne restent cependant pas inactives en matière d’économies d’énergie, d’après Philippe Cordonier. Au cours des derniers mois, la consommation de gaz en Suisse a baissé d’environ 20%, selon l’Asig. «Ce recul est principalement dû à l’industrie qui a consommé moins de gaz», observe Thomas Hegglin.

« Ce recul est principalement dû à l’industrie qui a consommé moins de gaz »

Passé l’écueil du prix, se tourner vers le fioul ne se réalise pas du jour au lendemain. Les brûleurs à mazout des installations bicombustibles doivent être révisés avant d’être mis en service. Une mesure des émissions de CO2 est également nécessaire.

En outre, il faut que les exploitants assurent eux-mêmes le transport du mazout. Or de nombreuses citernes doivent être remplies une à plusieurs fois par mois. En raison des capacités logistiques limitées sur la route et le rail, des goulots d’étranglement et des retards de livraison ne sont pas exclus. Face à ces difficultés, la Confédération a récemment libéré une partie des réserves obligatoires de mazout. Ces dernières couvrent environ quatre mois et demi de consommation normale.

Boom du marché carbone?

Enfin, le passage du gaz au mazout entraîne une hausse de la pollution. Les entreprises qui se sont engagées à réduire leurs émissions pour être exemptées de la taxe CO2 ne sont néanmoins pas pénalisées si elles se tournent vers le fioul. Elles pourront déduire ces émissions supplémentaires de leur copie.

Les firmes qui sont au contraire soumises au système d’échange de quotas de CO2 devront, elles, acheter davantage de certificats sur le marché pour compenser le surplus de pollution généré.

Si la situation devait se tendre, la Confédération pourrait obliger les entreprises à réaliser cette commutation. Un contingentement du gaz n’interviendrait que dans un second temps. Swissmem demande au Conseil fédéral que les industries soient exclues d’un tel rationnement.

 

Polluer: «Un mal nécessaire»

Emettre plus de CO2: la Suisse n’a pas vraiment le choix au vu de l’urgence de la situation, selon l’expert Frédéric Steimer.

«Passer du gaz au mazout dans l’industrie représente 25% d’émissions de CO2 en plus pour un même chauffage», déclare Frédéric Steimer, responsable pour la Suisse romande chez Swisscleantech. La mesure est pour l’heure limitée à cet hiver. S’il déplore cette augmentation de la pollution, le responsable romand de l’association pour la décarbonation de l’économie fait remarquer qu’à court terme, les solutions ne sont pas légion. Et de qualifier ce passage de «mal nécessaire».

En matière gazière, la Suisse dépend de l’Europe, de l’Allemagne et de la France surtout. «Et par rapport à Berlin ou Paris, nous ne disposons pas de capacités de stockage sur notre sol et dépendons donc du bon vouloir de ces pays à nous livrer. Si la situation se tend, cela nous fragilise davantage», regrette le spécialiste.

L’alternative? Réduire la consommation de gaz essentiellement utilisé pour le chauffage des bâtiments sur sol helvétique. Selon les calculs de Frédéric Steimer, une baisse d’un degré permet d’économiser 5% de consommation. Le secteur industriel représente un tiers des besoins en gaz du pays. Dans ce domaine, le gaz est principalement utilisé dans les processus de fabrication qui nécessitent de très hautes températures. Nestlé, par exemple, a recours essentiellement au gaz pour produire de la chaleur et de la vapeur.

S’alignant sur l’Union européenne (UE), le Conseil fédéral s’est fixé pour objectif volontaire de diminuer de 15% la consommation de cette énergie. Si la Suisse veut atteindre ce but, elle devra se passer de 3,6 térawattheures (TWh) cet hiver.

A plus long terme, Frédéric Steimer préconise le remplacement des chauffages polluants par des pompes à chaleur. «Pour cet hiver, c’est déjà trop tard, au vu du temps de réalisation de tels projets, des délais de livraison et du manque de main-d’œuvre», précise-t-il. Le responsable romand salue la volonté du Parlement fédéral d’allouer 2 milliards de francs supplémentaires pour le remplacement de ces chauffages sur 10 ans. «C’est un premier pas, même s’il faudrait doubler cette somme», estime-t-il.

Au côté des chauffages, Frédéric Steimer rappelle l’importance d’améliorer l’isolation des bâtiments et d’augmenter la production solaire. «Ces chantiers auraient dû commencer il y a deux décennies. Dans une année, nous risquons de faire face au même risque de pénurie d’énergie. Et, dans 10 ans, il y aura moins de gaz ou de fioul sur le marché. Si ce n’est pas pour le climat, il faut le faire pour des questions économiques et de sécurité d’approvisionnement», conclut-il. MB

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