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Scènes

Un très long entracte

Réduit au silence, le spectacle vivant représente le domaine culturel le plus touché par la crise sanitaire. Il organise la résistance

«La finalité de notre travail, c’est le public», réaffirme un Théâtre des Osses pour l’heure encore sevré de sa raison d’être.

 Ghania Adamo

Ghania Adamo

23 mai 2020 à 04:01

Théâtre » Il devait être doublement présent sur les planches ce printemps, avec une création, Le Conte des contes au Théâtre Kléber-Méleau (TKM), qu’il dirige à Renens, et Ma Colombine programmé au Performing Arts Center de Shizuoka (Japon). Ces deux spectacles ont été annulés. Mais leur metteur en scène, Omar Porras, figure marquante de la scène suisse, est un résistant qui sait que l’art dramatique peut venir à bout des absurdités existentielles. Interview.

Dans Le Conte des contes (d’après Giambattista Basile) une famille offre à son fils atteint de mélancolie un remède exaltant: des fables racontées par un certain docteur Basilio. Et vous, quel remède appliquez-vous pour faire face à la crise actuelle?

Omar Porras: Je le pense depuis très longtemps: le théâtre, comme la santé, est un service social. Nous espérons tous avec impatience un remède au Covid-19, comme nous espérons que la scène offre à nos craintes un moment de quiétude. Médecine et théâtre sont à mes yeux des arts du diagnostic, parce qu’ils savent identifier le mal qui affaiblit la nature humaine. En ce sens, ils sont visionnaires. Vous me demandez quel remède j’applique. Je réponds que dans ma pharmacie personnelle je garde la patience, le courage, l’envie de vivre à tout prix. Cette médication serait inefficace si elle ne s’accompagnait pas d’une prise de conscience de toutes les erreurs commises jusqu’ici, dont l’aveuglement des Etats qui n’ont pas su écouter l’appel de la nature et celui des hommes.

Beaucoup d’artistes ont trouvé, au départ, que le confinement était un moment propice à l’écriture, avant de déchanter. Et vous?

Je ne vais pas désavouer mes confrères. Je reste vaillant, oui, mais je dois reconnaître qu’en ouvrant une mauvaise fenêtre il m’arrive de recevoir en pleine figure des courants de désarroi. Nous, gens de théâtre, étions les premiers à fermer, nous serons les derniers à rouvrir. Mais bon, je n’accorde pas à ce fait une importance dramatique. La pensée ne peut pas être qu’horizontale. Il lui faut se nourrir de méditation et se montrer également verticale: je ne cesse de réfléchir à la tournure que les événements peuvent donner à mon travail.

Quand comptez-vous reprogrammer Le Conte des contes? Votre regard sur ce spectacle changera-t-il à la reprise?

Forcément. Le théâtre possède une vertu: il ne se termine jamais, c’est un art vivant. Je ne pense pas altérer la totalité de mon spectacle, mais il va évoluer. Même l’attitude du spectateur changera; cette crise l’a éloigné de la scène, il la regardera dans l’avenir différemment, en lui faisant peut-être la révérence, comme on la fait aujourd’hui à la nature. Quant à la date de reprise, je ne saurais vous l’indiquer; comme beaucoup de mes confrères, je nage dans un océan d’incertitudes. Pour parler comme les Grecs, je dirais qu’il faut attendre que l’oracle nous dicte le retour à Ithaque.

De nombreux directeurs de théâtre et d’opéra proposent sur le site de leurs institutions des captations de spectacles à voir gratuitement pendant cette pause spéciale. Pas vous, pourquoi?

D’abord, parce que je trouve qu’il y a à ce niveau une effervescence démesurée, je ne veux donc pas en rajouter. Ensuite, parce que j’estime que durant cette «pause spéciale» nous avons été invités au silence, et j’ai souhaité respecter ce silence. Enfin, parce que je n’aime pas trop ce miroir en plastique qu’est l’écran; il ne peut pas remplacer le miroir de la réalité qu’est la vraie scène.

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