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Religions

«Privilégier le fond, et non la forme»

Mgr Rémy Berchier quitte le vicariat épiscopal. Son regard sur l’Eglise fribourgeoise d’aujourd’hui

Rémy Berchier: «Avec les années, j’ai appris à prendre de la distance: ce n’est pas moi que j’annonce, mais Jésus-Christ.»

 Vincent Chobaz

Vincent Chobaz

1 juillet 2017 à 07:00

Eglise catholique » On dit de lui que c’est un pasteur, fondamentalement, viscéralement, mais doté de deux solides rangées de chenilles. Au regard des fonctions qu’il a assumées, de son côté fonceur, parfois frondeur, de son charisme et de son activité frénétique, il s’est imposé comme l’une des figures incontournables du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Hier, après seize ans passés «aux responsabilités», comme vicaire général, puis comme vicaire épiscopal en charge de la partie francophone du canton de Fribourg, Rémy Berchier (60 ans) a pris congé de ses collaborateurs. A l’automne, il passera aumônier de l’Hôpital fribourgeois (HFR). C’est Jean Glasson, curé modérateur au sein de l’Unité pastorale Saint-Laurent d’Estavayer-le-Lac, qui le remplacera au vicariat épiscopal.

Quel est l’état de santé de l’Eglise fribourgeoise à l’heure où vous quittez sa direction?

Rémy Berchier: En règle générale, elle va bien. Les agents pastoraux, prêtres, diacres, laïcs et bénévoles engagés, font un travail immense sur le terrain. Ils sont conscients de leur mission.

Voilà pour le fonctionnement. Mais que se passe-t-il dans 
les églises?

Il y a 65% de catholiques dans le canton. Cela signifie que la tradition catholique reste forte à Fribourg. Cependant, la pratique ne concerne que 5 à 10% des baptisés. Une minorité vit du fondement de la foi profonde. Ce qui sous-entend que la majorité ne s’engage plus. Elle souffre encore de ce que l’Eglise a pu lui dire pendant longtemps. Elle a la vision d’un Dieu qui juge, d’un Dieu qui punit. Nous ne pouvons pas le lui reprocher: c’est nous qui lui avons inculqué cela.

Cette forte tradition catholique, un mal ou un bien?

Pour l’accès aux écoles, aux hôpitaux ou aux prisons, par exemple, ou encore pour lever l’impôt, c’est positif. A n’en pas douter. Et c’est une particularité de Fribourg dans le diocèse. A contrario, cette tradition fortement ancrée contribue parfois à privilégier la forme, plutôt que le fond. On pratique par tradition. Or, l’essentiel est ailleurs: Dieu est Amour, Dieu nous pardonne, Dieu nous relève, Dieu ne nous abandonne jamais.

Ce passage d’une foi par défaut 
à une foi plus authentique, c’est le plus grand défi de l’Eglise 
fribourgeoise?

Oui. Il faut faire prendre conscience de l’importance de la parole de Dieu: c’est le Christ qui chemine avec nous. Mais nous ne partons pas de zéro. Je sens une soif terrible de la part des baptisés de ce canton. Etre chrétien, c’est une manière d’être, une manière de vivre. Ce passage-là prendra du temps. Les orientations pastorales que nous avons récemment définies vont dans cette direction: vivre sa relation avec Jésus-Christ, vivre son baptême, vivre la fraternité. Encore une fois, privilégier le fond plutôt que la forme.

Comme vicaire général, 
avec la mise en place – parfois à marche forcée – des unités pastorales sur tout le diocèse, puis avec la restructuration 
de l’Eglise cantonale où vous avez réduit la voilure de 
certains services, vous ne vous êtes pas fait que des amis. 
Un mal nécessaire?

Inévitablement. Lorsque l’on prend des décisions ou qu’on est en charge des nominations, on génère des incompréhensions. J’ai pu blesser, déranger, j’en suis conscient. En sens inverse, j’ai aussi reçu quelques coups. C’est inhérent à la fonction. Mais avec les années, j’ai appris à prendre de la distance: ce n’est pas moi que j’annonce, mais Jésus-Christ.

Après les départs de Jean-Jacques Martin (vicaire épiscopal à Neuchâtel) et de Marc Donzé (à Lausanne), vous étiez le dernier responsable issu de la génération qui a fait sa théologie pendant, ou juste après 
Vatican II. On dit la génération montante plus «romaine». Vous sentez ce durcissement?

Bien sûr que je sens cette évolution. Mais durant les seize ans passés au côté de l’évêque, j’ai aussi appris à dépasser les préjugés. Je ne m’arrête pas à un col romain ou à une soutane. Je me retrouve d’ailleurs en grande partie dans les orientations de mon successeur, Jean Glasson. Sur l’essentiel, nous nous rejoignons. C’est un changement dans la continuité.

Quitter un poste stratégique 
à 60 ans, c’est tôt. Le pouvoir ne va pas vous manquer?

Mais je vais rester actif. Si je quitte mon poste aujourd’hui, c’est d’abord parce que j’ai fait mon temps. On exige des prêtres qu’ils changent de fonction après quinze ans au maximum. J’y suis. Ensuite, j’ai connu quelques problèmes de santé orthopédique, ce qui m’a rapproché du ministère auprès des malades. Enfin, je me réjouis de retrouver le terrain. Si je devais avoir un regret, c’est de ne pas avoir eu assez de temps jusque-là pour vivre la proximité, la gratuité, aller à la rencontre des gens, librement.

Vous exprimez là un regret. Et votre plus belle satisfaction?

La fraternité retrouvée au sein du corps des agents pastoraux. La situation était parfois tendue après les restrictions budgétaires imposées par la restructuration de l’Eglise cantonale. Aujourd’hui, tout le monde regarde à nouveau dans la même direction.


 

Pèlerinage, scoutisme et spiritualité monastique

Suivant une trajectoire linéaire, du Séminaire de Fribourg au Conseil épiscopal, Rémy Berchier s’est découvert de nombreux centres d’intérêt.

Dernier d’une fratrie de trois enfants, Rémy Berchier est né à Cheyres en 1956 dans une famille d’agriculteurs qui se consacrait essentiellement à la production de céréales et à la viticulture. «Tout me destinait à reprendre le domaine, mes frères ayant choisi une autre voie, mais j’étais allergique à la poussière», confie Rémy Berchier. Son chemin croise alors le Père Marmy, fameux missionnaire au Cameroun: «Toi, Rémy, tu ne veux pas être prêtre?»

Le Broyard est entré au Collège des missions du Bouveret, en septembre 1969. «Les Pères, à la fin, n’avaient plus tellement de novices. Mon vieux curé m’a dit qu’il y avait davantage besoin de prêtres chez nous qu’en Afrique. C’est ainsi que je suis allé au Séminaire à Fribourg, de 1976 à 1981. On était alors 25 séminaristes.»

Durant son «mois spirituel», il se rendra, avec deux autres séminaristes, dans un ermitage du désert du Grand Sud algérien, à Béni Abbès, «sur les traces de Charles de Foucauld», une spiritualité qui nourrit sa foi aujourd’hui encore. Il passe également six mois au monastère bénédictin Saint-Guénolé de Landévennec, dans le Finistère. Envoyé à la paroisse de Romont par Mgr Mamie, il y est ordonné prêtre en 1982.

Durant son passage à Romont, il accompagne les scouts derrière le Rideau de fer. A Pâques 1983, ils se rendront avec un convoi humanitaire à Lublin, en Pologne. Et aussi, avec eux, auprès de Sœur Emmanuelle, au cœur du Mokattam, un quartier du Caire spécialisé dans le recyclage des ordures. En 1991, Mgr Mamie l’envoie à Bulle. Avec les scouts de Bulle, en 1992, il met sur pied un convoi humanitaire à destination de Mostar, en pleine guerre d’ex-Yougoslavie.

Mgr Genoud le nomme ensuite vicaire général du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, notamment pour mettre en place les unités pastorales. Il occupera cette fonction de 2001 à 2011, avant d’être nommé vicaire épiscopal pour le canton de Fribourg en 2012. Il a également été aumônier militaire au sein du Régiment 7, composé de Fribourgeois, «une belle expérience!»

Membre de la Fraternité sacerdotale «Jésus Caritas», qui s’inspire de la spiritualité de Charles de Foucauld, Rémy Berchier se retrouve dans la spiritualité monastique. Il parcourt à plusieurs reprises, à pied ou à vélo, les 2200 km du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le pèlerinage, «ce chemin vers moi-même», l’a également mené à redécouvrir Lourdes et son message. Il est, depuis 2002, directeur du Pèlerinage interdiocésain de printemps.

La participation à des actions humanitaires, ainsi que des voyages dans plusieurs pays d’Afrique, ont aiguisé sa fibre sociale. Mais pour lui, pendant longtemps, la pauvreté, c’était le tiers-monde: «Je la voyais ailleurs que chez nous!» Mais, bien vite, il la découvrira à Bulle. En compagnie du Père de La Salette Josef Tschugmell, il crée l’antenne de Caritas Gruyère dans les années 1990. «L’engagement en faveur des plus démunis et pour la justice est d’ailleurs inscrit à l’article 2 du Statut ecclésiastique catholique du canton de Fribourg.» Rejoindre Caritas Fribourg – il est membre de son comité – est pour lui suivre l’injonction du pape François, «qui nous renvoie aux périphéries».

Jacques Berset/cath.ch

Bio express

1956
Naissance à Cheyres, dans 
la Broye fribourgeoise

1976-1981
Séminaire 
à Fribourg

1982
Ordination 
à Romont, paroisse dans laquelle il officiera jusqu’en 1991, année 
de son départ 
à Bulle

2001
Il est nommé vicaire général du diocèse par Mgr Genoud. Appui au vicariat vaudois

2011
Vicaire épiscopal en charge de la partie francophone du canton de Fribourg

2017
Aumônier 
de l’Hôpital fribourgeois (HFR)

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