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Histoire vivante

Désillusions d’un archéologue suisse

Les destructions du site de Palmyre ont anéanti tout un travail de fouilles et de restauration helvétique


Propos recueillis par 
Pascal Fleury

Propos recueillis par 
Pascal Fleury

19 mai 2017 à 07:00

Syrie »   En mars dernier, le régime syrien a repris pour la seconde fois le site de Palmyre aux djihadistes, constatant de nouveaux dégâts sur la «perle du désert». Alors que l’an dernier, la direction générale des Antiquités de Syrie affirmait encore pouvoir reconstruire le site en cinq ans, les archéologues occidentaux s’entendent pour dire aujourd’hui que plusieurs monuments emblématiques sont irrémédiablement perdus.

C’est le cas en particulier du temple de Baalshamîn, dégagé des sables par une mission archéologique suisse dans les années 1950. Réduit en gravats par Daech, il ne pourra plus être restauré dans les règles de l’art, faute de matériaux anciens. Explications de l’archéologue Denis Genequand, chargé de cours à l’Université de Genève, qui a dirigé plusieurs campagnes de fouilles à Palmyre et ailleurs en Syrie avant la guerre.

La destruction de plusieurs monuments emblématiques de Palmyre en automne 2015 avait été un choc. Sait-on aujourd’hui si l’on pourra les reconstruire?

Denis Genequand: Un consensus se forme dans la communauté scientifique en faveur de leur restauration, quand les conditions le permettront. Mais restaurer ne signifie pas forcément reconstruire. Il faudra faire très attention. Tout dépendra de la nature des dégâts.

Dans le cas des destructions des deux temples de Bêl et de Baalshamîn, des tours funéraires et de l’arc de triomphe qui ont été dynamités et réduits en gravats, une reconstruction s’avérerait très difficile. Faute de matériaux anciens, il faudrait utiliser des matériaux récents. Ce ne serait alors plus le même monument. Le consensus veut que l’on restaure ce qui peut l’être et qu’on laisse en l’état ce qui est trop détruit. Ce sera un témoignage de l’histoire du monument et du conflit syrien.

Mais l’an dernier, la direction générale des Antiquités et des musées de Syrie prétendait vouloir tout reconstruire en 5 ans?

Cette déclaration, hâtivement faite dans la foulée de la reprise de la ville, tenait sans doute plus de la propagande que de la réalité de la préservation du patrimoine. En fait, comme l’ont admis par la suite des responsables syriens, le processus des restaurations sera extrêmement long. Il va falloir dégager les monuments détruits, récupérer et cataloguer toutes les pièces récupérables, refaire des fouilles, tout cela avant d’entreprendre la restauration elle-même. Heureusement, le site de Palmyre se trouve hors de la ville moderne. Ailleurs, comme à Alep, la reconstruction du centre-ville risque de se faire au détriment du patrimoine archéologique et historique. Evidemment, les écoles, hôpitaux et habitations devront être reconstruits avant les temples romains.

Pour faire revenir les touristes, la tentation ne serait-elle pas de reconstruire très rapidement?

Si la Syrie veut reconstruire très vite les édifices détruits, qu’elle a l’argent et les artisans, c’est possible. Les plans existent. On taille des pierres et on rebâtit quelque chose d’approximatif. Mais ce ne seront plus des monuments antiques, que de pâles reconstitutions. A mon avis, avec de bonnes restaurations et une belle mise en valeur, le site de Palmyre peut rester spectaculaire pour les touristes sans de telles reconstructions. La guerre fera alors simplement partie de l’histoire du site.

Qu’en sera-t-il du temple de Baalshamîn, qui avait été restauré par une mission suisse?

Le sanctuaire de Baalshamîn, comme celui de Bêl, a été dynamité alors qu’il était dans son état du début du IIe siècle, avec seulement quelques travaux d’anastylose très méthodiques.

La partie inférieure des murs de pierre a été pulvérisée. Les parties hautes se sont effondrées et les blocs se sont fracturés dans la chute. Si l’on reconstruit, ce ne sera plus le même édifice. Idem pour les sculptures, définitivement perdues. En revanche, certaines parties d’élévation pourront être reconstituées. De nouvelles fouilles du sous-sol seront riches d’enseignements.

Y a-t-il eu de nouvelles ­destructions lors de la reprise du site par Daech l’hiver dernier?

Le théâtre romain a fait l’objet de nouvelles destructions. Ce monument avait été très massivement reconstruit dans les années 1980, ce qui ne signifie pas que sa destruction est moins grave. Il sera vraisemblablement plus facile à restaurer.

L’état du musée de Palmyre est aussi très préoccupant...

Le musée a subi d’énormes dégâts. Le bâtiment a été occupé par Daech. Des pièces de collection ont disparu, des sculptures ont été volontairement détruites. Et les grandes richesses qui se trouvaient dans les réserves au sous-sol ont été jetées en tas et cassées. Lorsque Palmyre a été attaquée, seules 300 à 400 belles pièces transportables ont été évacuées. Il faut dire que pendant longtemps, le régime a refusé d’admettre qu’il pourrait perdre autant de terrain.

Les objets volés ne ressortiront pas sur le marché avant des années. Il importe d’insister sur ce trafic d’antiquités qui parvient jusque chez nous. Les gens doivent savoir que les pièces proposées à Genève, Bâle ou ailleurs sont souvent des pièces pillées, dotées de faux certificats. Les lois suisses ont été renforcées, mais c’est aussi aux clients de ne pas jouer le jeu des trafiquants.


 

Des missions archéologiques suisses très présentes à Palmyre

Depuis l’indépendance de la Syrie, en 1946, une dizaine de missions archéologiques étrangères ont travaillé sur le vaste site de la cité de Palmyre, qui couvre plus de 300 hectares, sans compter les nécropoles. Deux de ces missions sont suisses. La première, menée de 1954 à 1956, puis en 1966, était dirigée par Paul Collart, professeur d’histoire ancienne à l’Université de Lausanne. C’est lui, avec son équipe, qui a sorti des sables le temple emblématique de Baalshamîn, dynamité en août 2015 par Daech.

Daté de 130 après J.-C., ce temple était dédié au dieu «bon et rémunérateur» d’origine phénicienne Baalshamîn, assimilé à Zeus. Les fouilles et la restauration ont fait l’objet de publications exhaustives. «En cas de restauration, la Suisse aura un rôle important à jouer, puisque l’Université de Lausanne est dépositaire des archives de la mission Paul Collart. Ce sera une source essentielle et incontournable pour tenter de sauver quelque chose du temple de Baalshamîn, quelles que soient les équipes engagées pour ce travail», souligne l’archéologue Denis Genequand.

La seconde mission a été menée entre 2008 et 2011 sous sa direction. L’archéologue de l’Université de Genève a travaillé sur un bâtiment de la cité romaine, transformé ensuite en mosquée. Identifié comme le Caesareum – temple du culte impérial –, il avait été fouillé par les Syriens dans les années 1960, mais sans aboutir à une publication. «Le monument s’est révélé beaucoup plus complexe qu’on l’avait alors imaginé», explique-t-il, espérant pouvoir retourner sur le site après le conflit pour reprendre les études et les restaurations.

A noter que d’autres missions suisses ont été effectuées en Syrie. Les principales ont été menées par Jean-Marie Le Tensorer, de l’Université de Bâle, qui a travaillé sur le paléolithique dans la région de Palmyre. Ou encore par une mission de l’Université de Berne effectuée dans la vallée de l’Euphrate, à Tall al-Hamidiya. Pour sa part, Denis Genequand a dirigé pendant dix ans une mission syro-suisse à Qasr al-Hayr al-Sharqi, où se trouve un site de la haute époque islamique. PFY

 

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